Aux Mânes d'un Frère qui fut Roi

Hommage funèbre à Léopold Ier de Belgique

 

Maçon lui-même (du moins en titre, car son activité maçonnique semble avoir été nulle) depuis 1813 (il aurait été alors initié pour le compte de la Loge bernoise de l'Espérance), Léopold Ier dira en 1835 qu'une franc-maçonnerie convenablement dirigée peut rendre de grands services au pays sous le rapport de la propagation de l'instruction publique et sur celui de la nationalité.

Au début de son règne, il avait placé sous sa haute protection le Grand Orient de Belgique, dès la constitution de celui-ci. 

Médaille frappée par le Grand Orient de Belgique à l'occasion de la cérémonie funèbre pour Léopold Ier

Certains avaient même envisagé de lui demander (selon une coutume fréquente à l’époque, et encore en vigueur dans certains pays) d’en accepter la Grande Maîtrise. Sans doute soucieux de rester au-dessus des partis tout en gardant un certain contrôle en échange de sa protection, le roi avait plutôt recommandé un homme dans lequel il avait toute confiance, Stassart.

Après la rupture entre la maçonnerie et l'Eglise catholique, Léopold Ier, homme prudent et peu soucieux de s’aliéner qui que ce soit (et surtout pas, étant lui-même de religion protestante, le parti catholique), avait compris qu’il ne pouvait plus compter sur le Grand Orient de Belgique comme auxiliaire de sa politique, et dès lors cessé - sans pour autant ni le désavouer ni même lui retirer officiellement la protection qu’il lui avait accordée - de l’aider par ses libéralités.

Nous avons trouvé un intéressant témoignage de cette relative tension dans un discours prononcé par Defrenne en 1840 à l'occasion de l'installation d'une nouvelle Loge, le Travail, où il demande notamment aux maçons de manifester leur amour ardent de la patrie par diverses actions, et notamment: 

en éclairant la religion trop souvent, hélas ! surprise du souverain, notre Illustre Frère, sur le caractère et les vues par trop audacieuses de quelques fanatiques titrés, dont il est malheureusement circonvenu.

Cela n'empêcha pas le Grand Orient de rendre au souverain, à son décès en 1865, un hommage solennel au cours d'une grandiose cérémonie, dont le Tracé a été publié.

Charles Hanssens avait été chargé de la partie musicale.

Le texte est de Marcel-Briol, 1818-1866, citoyen français polygraphe, à l'époque régisseur au théâtre de la Monnaie à Bruxelles et membre des Amis Philanthropes.

Une lecture pittoresque : la cérémonie a fait l'objet aussitôt d'un éreintement systématique aux pp. 160-169 de l'ouvrage du polémiste antimaçonnique Amand Neut publié en 1866, La franc-maçonnerie soumise au grand jour de la publicité à l'aide de documents authentiques.

A l'ouvrage (source de ce très intéressant article en anglais) de David Vergauwen, KOLOMMEN VAN HARMONIE Muziek en vrijmetselarij in het Brussel van de negentiende eeuw (ASP 2015), est annexé un CD comprenant un enregistrement de cette cantate.

En cliquant ici, vous en entendrez l'extrait comprenant le texte :

... Car notre règle austère
Plaça l'homme et le Roi sous le même niveau.
Oui, le Roi Franc-Maçon passa sous le niveau.

à gauche : (cliquez sur l'image pour la voir en plus grand format) lithographie représentant cette grandiose cérémonie

à droite : détail

 

    

                  

                 

                     

                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lamentations maçonniques

Choeur

N° 1 

L'Orient s'est voilé
D'un crêpe funéraire,
Et son ciel étoilé
Nous cache la lumière.
Le calme de la mort,
Règne seul dans le temple
Où Jéhova contemple
Le faible ! jadis fort.

Première Iamentation

(Ténor)

N° 2 (Cantabile.)

Il n'est plus ! ll n'est plus ! ce puissant de la terre,
Dont la dépouille altière
Gît au fond du tombeau :
Mais son âme moins fière
Dans ce val de misère,
En fit pour nous un frère,
Car notre règle austère
Place l'homme et le Roi sous le même niveau.
Oui. Le Roi-Franc-Maçon passa sous le niveau.

Deuxième lamentation

(Baryton.)

(Récitatif.)

Vous tous enfants d'Hiram,
Que l'accacia décore
Venez entendre encore
Notre funèbre chant.

(Chant.)

Celui que nous pleurons a porté la couronne.
Et caché bien souvent,
Tous les chagrins que donne
Le trône décevant,
La pâle et noire envie,
Ainsi que les soupçons ;
Ne purent dans sa vie
Infiltrer leurs poisons ;
ll sut avec adresse
Calmer les factions
Le vent des révolutions
S'appaisait devant sa sagesse.

Duo.

ll n'est plus ! il n'est plus ! ce puissant de la terre,
Il dort dans la nuit du tombeau ;
Celui dont notre règle austère
Plaça l'homme et le Roi sous le même niveau.
Oui, le Roi-Franc-Maçon passa sous le niveau.

Choeur Général

L'Orient s'est voilé
D'un crêpe funéraire,
Et son ciel étoilé
Nous cache la lumière.
Le calme de la mort,
Règne seul dans le temple
Où Jéhova contemple
Le faible ! jadis fort.

 Récitatif prière et choeur

(Solo.)

Basse.

Tous à l'ordre ! et debouts ! - sans distinction de secte
De ce grand univers implorons l'architecte ;
Et que fond du coeur,
Aux pieds de Jéhova s'élève une prière
Pour que dans sa bonté le Dieu de la lumière
Reçoive Léopold dans un monde meilleur.

Prière

Deux voix de basse à l'unisson.

Entends nos voix maître de toutes choses
Toi qui créas l'espérance et l'amour

Ténor solo.

Toi qui créas les épis et les roses
Toi qui créas les effets et les causes
Ouvre pour lui ton éternel séjour.

Reprise en Chœur.

Entends nos voix maître de toutes choses
Toi qui créas l'espérance et l'amour
Toi qui créas les épis et les roses
Toi qui créas les effets et les causes
Ouvre pour lui ton éternel séjour.

FIN DE LA CEREMONIE MORTUAIRE.

 

 

 

Le réveil de l'àme

Hymne Triomphal.

Introduction. Orgues.

 Choeur aérien, Voix de femme.

ll est des noms écrits aux sphères éternelles
Des noms prédestinés et chers au créateur,
Elus qu'il a choisis parmi ses plus fidèles
Pour descendre sur terre apporter le bonheur.

Mélopée.

Accompagnement de harpe.

Va ! leur dit le très-haut qui régit tous les mondes
Répandre la lumière et proclamer ma loi,
Chasse de l'univers tous les vices immondes
Sois prêtre ! sois penseur ! guerrier ! poète ou Roi ;
Mais sois homme avant tout, car tu vas chez tes frères
Prêcher avec amour l'esprit de charité,
Guide les vers le bien, soulage leur misère,
Ouvre leur l'avenir par la fraternité.
*
*   *
Voilà la noble tâche imposée au génie,
Sacerdoce pieux que la grâce infinie ;
Place au coeur de l'élu pour cette mission;
Le prêtre ! le héros ! le penseur ! le monarque !
En recevant du ciel cette divine marque
Devient |'apôtre né de la Rédemption
Moïse ! Spartacus ! Socrate et Charlemagne !...
Ont comme Emmanuel sauvé l'humanité
L'univers les admire et la gloire accompagne,
Ces grands hommes passés à l'immortalité.
ll est des noms écrits aux sphères éternelles
Des noms prédestinés et chers au créateur,
Elus qu'il a choisis parmi ses plus fidèles
Pour descendre sur terre apporter le bonheur.

 reprise du Choeur aérien.

ll est des noms écrits aux sphères éternelles
Des noms prédestinés et chers au créateur,
Elus qu'il a choisis parmi ses plus fidèles
Pour descendre sur terre apporter le bonheur.

L'âme.

Duo.

(Soprani.)

Au milieu des clartés qui sillonnent la nue,
Qui donc exalte ces doux chants ?

Jéhova.

(Ténor)

Ce sont tes soeurs qui fêtant ta venue
T'accueillent par de doux accents :

l'âme.

Vivat ! Vivat ! Semper vivat ! pauvre âme,
En ce moment, je suis, - j'aime et je crois,
Un saint transport me ravive et m'enflamme,

Jéhova [ténor]

Sois avec nous !

L'âme [soprano]

O Dieu puissant !... je vois -
Qu'étais-je donc dans ce monde de fange ?
Pauvre ciron au front audacieux ;
J'avais suivi la révolte de l'ange,
Et vous m'aviez chassé bien loin des cieux.
Pauvre insensé que la gloire éphémère
Avait cloué sur un trône!... ô Pitié !... 

Jéhova.

Sois pardonné ! Pour toi plus de colère,
Ayant rempli ta mission sur terre,
Viens partager mon immortalité !

Jéhova.

Ayant rempli ta mission sur terre,
Viens partager mon immortalité !

l'âme.

O Roi des rois! En ta bonté j'espère,
Et près de toi je vis en liberté.

Choeur final.

La nuit du tombeau c'est la vie,
Mourir n'est qu'un suprême adieu,
La mort est bien digne d'envie
Pour l'âme qui monte vers Dieu.
Au sein des sphères éternelles
Elle vient vivre en liberté,
L'espoir divin lui rend ses aiîles
Pour fuir la pauvre humanité,
L'amour divin donne des aîles,
Et la mort rend la liberté.

 

 

 

Bruxelles, 5 janvier 1866.

 

marcel-briol.

Ce texte, imprimé à l'époque, présente quelques différences avec celui reproduit par Vergauwen, qui s'est basé sur une partition manuscrite.
 

Excès de spiritualisme ?

Le ton extrêmement religieux du texte peut surprendre, si l'on tient compte de l'évolution à cette époque en Belgique de l'opinion maçonnique en matière de religion (rappelons que le Grand Orient de Belgique allait dès 1872, soit 5 ans avant celui de France, abolir l'obligation de référence au Grand Architecte). 

Peut-être le Grand Orient, qui a voulu donner un grand écho public à la cérémonie, comptait-il ainsi quelque peu se dédouaner vis-à-vis des accusations d'impiété portées contre la maçonnerie par les polémistes catholiques ? 

Ce ne fut en tout cas pas du goût de tout le monde, comme en témoigne cette lettre citée par la revue (à l'époque publiée à Londres par des exilés français) la Chaîne d'Union :

Lors de la cérémonie funèbre célébrée au Grand-Orient de Belgique, en mémoire du Frère Léopold, roi des Belges, Chevalier Kadosh, tous les frères ont pu lire la maxime suivante, affichée au-dessus du jubé :

L'âme émanée de Dieu est immortelle

Considérant que la libre pensée a été admise par les Loges belges, en 1864, comme principe fondamental ;

Considérant que l'admission de ce principe commande la tolérance la plus grande pour les opinions de tous les Maçons ;

Considérant que le Grand-Orient, en affichant comme seule devise cette maxime : « L'âme émanée de Dieu est immortelle, » a méconnu formellement le respect dû aux convictions des Frères qui n'admettent pas le spiritualisme ;

La loge la Constance, Orient de Louvain, proteste énergiquement contre l'atteinte portée, par le Grand-Orient, aux principes de libre examen et de tolérance qui sont les bases de la Maçonnerie belge.

(source)

Voir à ce sujet l'article de Jeffrey TYSSENS, ¿Una farsa sacrílega? La francmasonería belga y la disputada conmemoración del Rey Leopoldo de Sajonia-Coburgo-Gotha, où il analyse également les critiques du côté catholique.

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