Franche-Maçonnerie Belge

Tracé maçonnique

Dédié au Grand-Orient belge et aux loges de Belgique, paroles du frère Desessart, 33e degré, musique du frère Bosselet, élu des Neuf, tous deux membres de la loge les Amis Philanthropes, à l'Orient de Bruxelles.

 

C'est plutôt pour son intérêt historique que pour ses qualités littéraires (?) ou même éventuellement (nous n'avons pas retrouvé la partition) musicales, que nous avons placé ce tracé sur notre site. Il donne en effet une assez bonne idée de la mentalité qui prévalait dans les Loges belges peu après la condamnation de la Franc-maçonnerie par les évêques belges en 1837. 

Le noble acacia, ornement des coteaux,
En Belgique étendait ses fertiles rameaux.
L'horizon était pur, et la Maçonnerie
Chaque jour resserrait son union chérie.
Dans ses temples fermés au profane mortel
Brûlait un pur encens offert à l'Eternel.
A la porte, où veillait l'active bienfaisance,
Jamais l'infortuné, que poursuit l'indigence,
La veuve, le vieillard, le timide orphelin,
Le voyageur errant, ne frappèrent en vain.
Le maçon, étranger aux débats politiques,
Sous l'égide des lois voulait la liberté ;
Des cultes respectant les dogmes, les pratiques,
Le sien était l'honneur, la raison, l'équité,.
Les mortels répandus sur les deux hémisphères
Ne formaient plus entre eux qu'un grand peuple de frères.
Les flots de l'Océan, justement redoutés,
Par l'ardente amitié venaient d'être domptés.
La lumière qui croit et jamais ne recule,
S'élançait au delà des colonnes d'Hercule ;
Ses rayons pénétraient jusqu'au sol africain,
L'Europe au Nouveau-Monde avait donné la main.

Musique.

Quant un vent du Midi, précurseur des tempêtes,
En fréquents tourbillons s'agite sur nos têtes.
De fougueux ouragans, de sinistres éclairs
Se heurtent confondus dans la plaine des airs.
Les ombres de la nuit remplacent la lumière ;
La foudre a menacé les palais, les hameaux ;
Le pâtre épouvanté s'enfuit dans sa chaumière,
Et groupe autours de lui ses timides troupeaux.
L'orage vient du Tibre ! Et sur notre patrie
Il semble diriger son aveugle furie.
La terreur est partout : nos champs sont dévastés ;
L'inflexible Atropos décime nos cités :
La peste, ses fléaux, la famine, la guerre,
De leurs coups redoutables accablent cette terre.

Musique.

Au milieu des débris on voit le fanatisme
De l'affreuse discorde allumer les flambeaux ;
Il amène avec lui l'odieux despotisme (1),
Jaloux de relever ses sanglants échafauds.
Pour saper les progrès de la philosophie,
On l'accuse hautement du crime d'hérésie.
" Mort, dit le Vatican, aux infâmes Maçons,
" De Voltaire et Rousseau, coupables nourrissons(*),
" Ils attirent sur nous la céleste colère :
" Prêtres, bannissez-les du divin sanctuaire !
" Aux bûchers éternels nous vouons ces pervers ;
" Rome entr'ouvre pour eux les gouffres des enfers ! "
L'anathème est lancé, et bientôt la Belgique
Va rentrer au pouvoir du sceptre fanatique,
Comme au temps où Philippe (2), avide de forfaits,
Du sang de nos aïeux rougissait les guérêts.

(*) voir ici sur l'hostilité de l'Eglise à Voltaire et Rousseau, considérés comme responsables - avec les maçons - de la Révolution ; ceux-ci, se considérant comme les héritiers des Lumières, les vénèrent au contraire. 

Musique.

Cependant de d'Egmont, l'ombre encore irritée
Du fonds de son tombeau se lève ensanglantée.
" Aux armes, compagnons, dit le noble martyr,
" D'un coupable sommeil hâtez-vous de sortir ;
" De d'Albe l'homicide oubliez-vous les crimes ?
" Venez-vous immoler de nouvelles victimes ?
" Des meilleurs citoyens les membres en lambeaux
" Seront-ils profanés par la main des bourreaux ?

La statue d'Egmont et de Hornes au Petit Sablon à Bruxelles, oeuvre en 1864 du sculpteur (maçon) Fraikin (1817-1892) 

Musique.

Peint par le Titien, le duc d'Albe, qui fit exécuter Egmont et Hornes : une main d'acier dans un gant de fer.

A sa voix, les Maçons que la fureur enflamme,
Ont déployé soudain leur antique oriflamme.
Des Flandres, du Hainaut les enfants généreux
Ont jurés de venger leurs illustres aïeux.
Du Belgique lion tressaille la crinière :
Le Brabant retentit d'un noble cri de guerre ;
Namur et Charleroi, du haut de leurs remparts,
Du compagnon d'Hyram lèvent les étendards.
L'intrépide Liégeois, si sensible à l'outrage,
Ne peut plus contenir son superbe courage,
Et brûle d'effacer l'humiliant affront,
Dont, Charles (3) autrefois stigmatisa son front.
De l'Escaut désertant les rivages prospères,
Les braves Anversois s'unissent à leurs frères.
Honteuse de ramper sous le joug clérical,
Malines du combat a donné le signal.
A la voix de l'honneur attentive et fidèle,
Louvain a redoublé de valeur et de zèle.
Le front cicatrisé d'honorables guerriers,
Pour défendre leurs droits, arrivent les premiers.
Aux champs de Beverloo, notre vaillante armée
Entoure des Maçons l'arche antique et sacrée.
On n'entends que ces cris : " Haine aux vils oppresseurs,
De la fraternité perfides délateurs ! ! ! "

Musique.

Ainsi que s'avançaient vers les murs de Solime
Ces guerriers, revêtus d'un signe respecté, (4)
Ainsi des Francs-Maçons la troupe magnanime
Marche sur l'ennemi qui fuit épouvanté.
A sa tête paraît un philosophe, un sage,
Qui joignant aux vertus les talents, le courage,
Du grand Napoléon sut fixer le regard ;
Ce Maçon, le voilà ! C'est lui, c'est de Stassart !

Musique.

La victoire dès lors ne put être incertaine :
La Vatican frémit ! et la horde romaine,
Féconde en calomnie, en lâches trahisons,
Sur le nouveau Molay (4) déversa ses poisons.
Mais que peuvent les traits de l'odieuse envie
Contre le citoyen fidèle à sa patrie,
Contre l'homme de bien, contre l'homme de cour,
Que l'on trouva sans cesse au chemin de l'honneur ?
" Fier de vous commander, dit l'illustre grand-maître,
" J'ai rempli mon mandat, je tiendrai mes serments ;
" Je fus toujours Maçon, et toujours je veux l'être,
" Dut sur moi retomber la haine des méchants !

Musique.

De l'intrigue, en effet, la criminelle audace
Employa contre lui l'astuce et la menace.
Ne pouvant l'asservir, on osa l'accuser ;
Ne pouvant le convaincre, on voulut l'immoler,
Mais le peuple était là ! ! ! Sa voix forte, unanime,
Sur le pavois civique éleva la victime.
Vous vous flattiez en vain, fourbes ambitieux,
Le juste du combat, sortit victorieux.
Gloire à qui noblement a tenu sa parole !
Gloire à qui préféra le devoir aux grandeurs !
Le Belge ceint son front d'une triple auréole (5) ;
Et le nom de Stassart électrise les coeurs.

Musique.

Guidé par lui, le vaisseau maçonnique
Bravera désormais la tempête et les flots :
Sous son maillet, l'Orient de Belgique
Saura du fanatisme arrêter les complots.

Musique.

Jouis enfin, sainte Maçonnerie,
Du doux repos conquis par ta valeur :
Sers les beaux-arts, seconde l'industrie ;
Sur toi s'étend la main du Créateur !
Si contre nous encore l'hydre hurle et se dresse,
D'un injuste soupçon le temps nous vengera :
Ainsi l'a décidé l'éternelle sagesse.
Francs-Maçons, Gloire à Dieu ! hosanna ! ! hosanna ! !

Ce texte a été retrouvé (pp. 30-31) dans :

Le Globe, Archives des Initiations Anciennes et Modernes publiées par une société de francs-maçons et de templiers sous la rédaction principale du frère Louis-Théodore Juge, 
Tome deuxième, deuxième année. 1840 Paris.

Il y est accompagné des notes suivantes :

(1) Le despotisme clérical.
(2) Philippe II, roi d'Espagne, qui ravagea les Pays-Bas, et permit au duc d'Albe, son lieutenant, d'y exercer toutes les déprédations imaginables.
(3) Charles, duc de Bourgogne, après la prise de Liège en 1468, exerça toutes sortes de cruautés sur les habitants.
(4) Jacques de Molay, grand-maître des Templiers.
(5) Aux dernières élections, le frère baron de Stassart a été nommé sénateur dans les villes de Bruxelles, Namur et Nivelles.

Le Globe s'était d'ailleurs dès 1839 intéressé à cette question.

Goswin de Stassart

Haut fonctionnaire investi de la confiance de Napoléon, poète, homme politique, Goswin Joseph Augustin de Stassart, premier Grand Maître du Grand Orient de Belgique, est un personnage qui joua un rôle non négligeable dans l'histoire de la Belgique naissante.

On trouvera un chapitre lui consacré dans l'ouvrage Illustres et Francs-maçons, rédigé par un collectif d'auteurs coordonné par Luc NEFONTAINE et publié en 2004 par les Editions Labor (Collection La Noria).

 

La médaille de récompense maçonnique du Grand Orient de Belgique reproduite ci-dessous porte l'effigie de Stassart. L'ouvrage de Marvin, The medals of the masonic fraternity (Boston 1880), donne sous le n° CXC, à la planche située entre ses pages 80 et 81, une gravure (ci-contre à droite) d'une des faces de cette médaille. Mais selon lui cette face a également été utilisée pour une médaille dont l'autre soit celle représentée ici à gauche.

 

Quelques citations permettront de mieux comprendre le contexte historique de ce tracé et certaines de ses allusions :

...  il faut savoir que la franc maçonnerie du Grand Orient avait pour protecteur - protecteur nullement désintéressé du reste - Léopold Ier. Maçon lui-même, le roi estimait en effet qu'une franc-maçonnerie convenablement dirigée, pouvait rendre de grands services au pays sous le rapport de la propagation de l'instruction publique et sur celui de la nationalité. C'est pourquoi il avait encouragé, en 1835, un de ses hommes de confiance, le baron de Stassart, à accepter la grande maîtrise de l'Ordre. 

...

Si les évêques avaient pensé que leur circulaire entraînerait les catholiques à abandonner les loges, leur espoir ne fut pas couronné. Les défections furent rares. ... La condamnation épiscopale semble injuste à ces maçons catholiques. A Van Bommel qui, dans une lettre privée, l'invite à renoncer à sa grande maîtrise parce que pour un catholique... la participation à la Maçonnerie est un péché grave le baron de Stassart répond : Je suis franc-maçon depuis trente-six ans, ce qui ne m'a pas empêché de remplir les devoirs de ma religion avec quelque exactitude et de saisir avec empressement les occasions de rendre à l'Eglise tous les services qui ont dépendu de moi. Il dira encore dans cet échange de correspondance qu'il a toujours considéré la franc-maçonnerie comme un utile auxiliaire de la charité chrétienne et que la présence à la tête de la maçonnerie d'un homme, qui s'était montré dans toutes les circonstances, favorable aux principes religieux, devait présenter assez de garanties pour que l'épiscopat ne se mît pas en alarme.

...  La condamnation ne lui [Stassart] paraissait pas avoir été dictée par des motifs religieux, mais par des considérations beaucoup plus prosaïques. Vous avez bien raison, Monseigneur, écrivait-il à Van Bommel, la Belgique est éminemment catholique, mais elle repousse toute exagération, toute violence et jamais elle ne souffrirait qu'on fît de la Religion, un instrument de domination temporelle.
...
Ainsi, sincèrement attachés à la religion de leurs pères, pour employer une expression qu'affectionnait Verhaegen, mais en même temps fort méfiants à l'égard du clergé, les maçons catholiques ne se soumirent pas à la décision des évêques. Certains pourtant finirent par se retirer plus ou moins discrètement de la maçonnerie. ... Stassart lui-même, après avoir opposé à Van Bommel le refus que nous savons, vint à résipiscence. Il aimait les honneurs et sa résistance à la circulaire lui avait fait perdre la présidence du Sénat et sa charge de gouverneur du Brabant. Aussi chercha-t-il très vite à quitter la partie pour user de ses propres termes, mais sans paraître obéir servilement aux évêques ni trahir ses amis. En 1841, un conflit politique qui l'opposait à Verhaegen lui permit enfin d'abandonner sa grande maîtrise, tout en sauvant les apparences. 

(John Bartier, Laïcité et Franc-Maçonnerie, études rassemblées et publiées par Guy Cambier, éd. de l'ULB, 1981)

Léopold Ier apprendra à apprécier notre baron, qui deviendra une des personnalités les plus en vue de Belgique : président du Sénat, gouverneur du Brabant et, en 1835, grand maître de la franc-maçonnerie. L'idéal de celle-ci attire Stassart. Rechercher la vérité? C'est son perpétuel souci. Manifester de la tolérance envers les opinions d'autrui ? C'est sa nature à lui et son tour d'esprit. Réunir des élites à l'occasion de débats d'idées, rapprocher les points de vue, repousser les a priori, le baron estime qu'il n'y a rien de plus souhaitable.

...

Il est évident que la condamnation des loges par le haut clergé exerce un impact direct sur la carrière politique du baron de Stassart. En novembre 1838, il perd ainsi, au profit du baron de Schiervel, la présidence du Sénat. ... là ne s'arrêtèrent pas ses déboires. Lorsque le Sénar fut renouvelé pour moitié, aux élections de juin 1839, trois arrondissements électoraux, Bruxelles, Namur et Nivelles, réélirent le baron de Stassart au Sénat à une forte majorité. Le gouvernement s'irrita de cette triple élection et révoqua Stassart de ses fonctions de gouverneur du Brabant, ce qui eut le don de provoquer un tollé général dans la presse libérale. Le public bruxellois, auprès de qui Stassart avait acquis une réelle popularité, réagit en sa faveur, organisa des manifestations en son honneur, fit voter des adresses et frappa des médailles à son effigie, tandis que journalistes et pamphlétaires s'en donnaient à coeur joie contre le ministre.

(Jo Gérard, la Franc-Maçonnerie en Belgique, J. M. Collet Ed., 1988)

Le fait que Stassart ait été écarté de la présidence du Sénat fut en octobre 1838 commenté dans le quatrain suivant par le journal montois Le Modérateur :

Le clergé, du Sénat ressaisissant l'empire,
Élimine StassaRT par de bonnes raisons :
Des gens qui veulent tout détruire
Peuvent-ils souffrir les Maçons?

(cité par Ragon dans son Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes, p. 22)

Laissons les hommes des partis extrêmes injurier les partisans d'une sage modération. Il faudra bien qu'on en revienne au juste milieu.

... la tolérance civile devient en quelque sorte un principe religieux et le respect pour les croyances religieuses devient une maxime de la philosophie.

(Stassart)

médaille (non maçonnique) 

 

Les auteurs

Le compositeur Bosselet est mentionné au site Compositeurs maçons.

L'auteur du texte, Desessart (ou Des Essarts), est sans doute le 1er Surveillant des Amis Philanthropes.

C'est lui qui, en 1836, avait écrit à Stassart le texte suivant, bien révélateur quant au fait que, jusqu'à l'agression épiscopale de 1837, la maçonnerie belge était encore dominée par le courant catholique :

L'esprit irréligieux du siècle met à orgueil d'avoir toujours à la bouche les grands mots de fanatisme, d'intolérance, etc., etc. Il semblerait, à entendre ces vociférations ridicules et journalières qu'on ait à redouter un nouveau duc d'Albe et une inquisition. Quoi ? L'on est fanatique parce que l'on remplit ses devoirs religieux ; on est intolérant, pour ce qu'on n'abonde pas dans les folles idées de novateurs imberbes, faussement imbus d'idées philosophiques qu'ils ne sont pas à même de comprendre. S'il doit en être ainsi, j'avoue franchement que je suis fanatique et intolérant. 

(cité par John Bartier in Laïcité et Franc-Maçonnerie, études rassemblées et publiées par Guy Cambier, éd. de l'ULB, 1981 ; p. 226)

Mais il ne faudra que deux ans à Desessart pour se rendre compte que la nouvelle inquisition sur laquelle il ironisait n'était pas un fantasme, et pour redouter ce nouveau duc d'Albe qui lui semblait si improbable :

De d'Albe l'homicide oubliez-vous les crimes ?

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