Monsigny
En cliquant ici, vous entendrez un extrait de l'enregistrement du Déserteur mentionné plus bas
Portrait par Jean-Martial Frédou |
Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) fut un des pères de l'opéra-comique français. Nombre de ses airs (par exemple le célèbre Trio de Félix ou le Chorus de la belle Arsène) furent utilisés par des chansons maçonniques. Le remarquable ouvrage de Pierre-François Pinaud, Les Musiciens francs-maçons au temps de Louis XVI (Véga, 2009), le mentionne comme membre de la Société Olympique en 1786. |
à gauche : monument à Saint-Omer à droite : portrait par Carmontelle
Dans sa Biographie universelle des musiciens (T. 6), Fétis lui consacre un long article (assez admiratif même s'il est un peu condescendant), que nous reproduisons ci-dessous :
|
L'article de Fétis MONSIGNY (Pierre-Alexandre), compositeur dramatique, issu d'une famille noble, naquit le 17 octobre 1729, à Fauquembergues, bourg du Pas-de-Calais, près de Saint-Omer. Son père ayant obtenu un emploi dans cette ville, lui fit faire ses études littéraires au collège des jésuites. Doué d'un heureux instinct pour la musique, le jeune Monsigny cultivait cet art dans tous les instants de repos que lui laissait le travail des classes. Son instrument était le violon : il acquit plus tard une habileté remarquable sur cet instrument, et s'en servit toujours pour composer. Il perdit son père peu de temps après avoir achevé ses cours. La nécessité de pourvoir aux moyens d'existence de sa mère, d'une sœur et de jeunes frères, dont il était l'unique appui, lui imposa l'obligation d'embrasser une profession lucrative : il se décida pour un emploi dans la finance qui, alors comme aujourd'hui, conduisait rapidement à la fortune quand on y portait l'esprit des affaires. En 1749 il alla s'établir à Paris, où il obtint une position avantageuse dans les bureaux de la comptabilité du clergé. L'amabilité de son caractère lui avait fait de nombreux et puissants amis qui l'aidèrent à placer ses frères, et à procurer à sa mère, à sa sœur une aisance suffisante. Plus tard ses protecteurs le firent entrer dans la maison du duc d'Orléans, en qualité de maître d'hôtel. Il y passa paisiblement près de trente années, et puisa dans la haute société qu'il y voyait une élégance de manières qu'il conserva jusqu'à ses derniers jours. Depuis son arrivée à Paris, il avait négligé la musique : ce fut en quelque sorte le hasard qui le ramena vers l'art et qui fit de lui un compositeur d'opéras. Il assistait en 1754 à une représentation de la Servante maîtresse, de Pergolèse ; l'effet que produisit sur lui cette musique d'un style alors nouveau fut si vif, que dès ce moment il se sentit tourmenté du besoin d'écrire lui-même de la musique de théâtre. Mais son éducation musicale avait été si faible, si négligée, qu'il n'avait pas les plus légères notions d'harmonie, d'instrumentation, et qu'il avait même beaucoup de peine à faire le calcul des valeurs de notes pour écrire les mélodies que son instinct lui suggérait. Cependant, entraîné par son goût pour la musique d'opéra-comique, il prit un maître de composition. Ce fut Gianotti (ndlr : contrebassiste à l'Opéra et au Concert spirituel et auteur d'un Guide de Composition) qui lui enseigna les éléments de l'harmonie par les principes de la basse fondamentale. Cinq mois de leçons suffirent à Monsigny pour apprendre ce qui lui semblait nécessaire pour écrire les accompagnements d'un air d'opéra. Après quelques essais informes, il parvint à écrire sa partition des Aveux indiscrets, opéra-comique en un acte, qu'il fit représenter au théâtre de la Foire, en 1759. Il était alors âgé de trente ans. Le succès de cet ouvrage l'encouragea ; cependant il crut devoir garder l'anonyme, à cause de sa position dans la maison d'Orléans. En 1760 il donna au même théâtre le Maître en Droit et le Cadi dupé. La verve comique qui brille dans ce dernier ouvrage fit dire au poète Sedaine, après avoir entendu le duo du Cadi et du Teinturier : Voilà mon homme ! En effet, il se lia avec Monsigny et devint son collaborateur dans plusieurs drames et opéras-comiques, particulièrement dans celui qui a pour titre : On ne s'avise jamais de tout, joli ouvrage de l'ancien style, représente à l'Opéra-Comique de la foire Saint-Laurent, le 17 septembre 1761. Cette pièce fut la dernière qu'on joua à ce théâtre, qui fut fermé sur les réclamations de la Comédie italienne, dont la jalousie avait été excitée par les succès de Monsigny. Les meilleurs acteurs de l'Opéra-Comique, parmi lesquels on remarquait Clairval et Laruette, entrèrent à la Comédie italienne. C'est pour ces deux théâtres réunis en un seul que Monsigny écrivit ses autres opéras, où sa manière s'agrandit. Le Roi et le Fermier, en 3 actes, fut joué en 1762. Dans cette pièce, le talent du compositeur pour l'expression pathétique se révéla au public et à lui-même. Rose et Colas, opéra-comique en un acte, parut en 1764. Aline, reine de Golconde, en trois actes, fut joué à l'Opéra deux ans après; puis Monsigny donna à la Comédie italienne, en 1768, l'Ile sonnante, opéra-comique en trois actes ; en 1769, le Déserteur, drame en trois actes, où son talent atteignit sa plus haute portée; le Faucon, en 1772 ; la Belle Arsène (3 actes), en 1775 ; le Rendez-vous bien employé (un acte), en 1776 ; et Félix ou l'enfant trouvé, drame en 3 actes, en 1777. Ce fut son dernier ouvrage. Toutes les partitions de ces opéras ont été publiées à Paris. Quoiqu'il n'eût connu que des succès, Monsigny n'écrivit plus de musique après Félix. Il avait en manuscrit deux opéras en un acte intitulés Pagamin de Monègue, et Philémon et Baucis ; mais ces ouvrages étaient déjà composés vers 1770. J'ai connu cet homme respectable, et je lui ai demandé en 1810, c'est-à-dire trente-trois ans après la représentation de son dernier opéra, s'il n'avait jamais senti le besoin de composer depuis cette époque : Jamais, me dit-il ; depuis le jour où j'ai achevé la partition de Félix, la musique a été comme morte pour moi : il ne m'est plus venu une idée. Cependant il avait conservé une rare sensibilité jusque dans l'âge le plus avancé. Choron nous en fournit une preuve singulière dans l'anecdote suivante : « Il faut que la sensibilité de ce compositeur ait été bien vive, pour qu'il en ait autant conservé à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Dernièrement, en nous expliquant la manière dont il avait voulu rendre la situation de Louise (dans le Déserteur) quand elle revient par degrés de son évanouissement, et que ses paroles étouffées sont coupées par des traits d'orchestre, il versa des larmes, et tomba lui-même dans l'accablement qu'il dépeignait de la manière la plus expressive. » Cette sensibilité fut son génie, car il lui dut une multitude de mélodies touchantes qui rendront dans tous les temps ses ouvrages dignes de l'attention des musiciens intelligents. Grimm a dit : M. de Monsigny n'est pas musicien. Non, sans doute, il ne l'est pas comme nous ; sa pensée n'est pas complexe ; la mélodie l'absorbe tout entière. Sa musique n'est pas une œuvre de conception : elle est toute de sentiment. Monsigny est musicien comme Greuze est peintre. Il est original, ne tire que de lui-même les chants par lesquels il exprime le sens des paroles et les mouvements passionnés des personnages ; il y a de la variété dans ses inspirations et de la vérité dans ses accents. Des qualités si précieuses ne peuvent-elles donc faire oublier l'inhabileté de cet artiste d'instinct dans l'art d'écrire ? Il ne manquait pas d'un certain sentiment d'harmonie, mais il ne faut pas chercher dans sa musique un mérite de facture qui n'y existe pas, qu'il n'aurait pu acquérir avec des études aussi faibles que les siennes, et qui d'ailleurs ne se trouve dans les productions d'aucun musicien français de son temps, à l'exception de Philidor. Monsigny, qui avait échangé depuis plusieurs années sa position de maître d'hôtel du duc d'Orléans pour celle d'administrateur des domaines de ce prince et d'inspecteur général des canaux, avait perdu ces places à la Révolution, ainsi qu'une partie de sa fortune. Connaissant l'état de gêne où l'avaient jeté ces événements, les comédiens sociétaires de l'Opéra-Comique lui accordèrent, en témoignage de reconnaissance, pour les succès qu'il leur avait procurés, une pension viagère de 9,600 francs, en 1798. Après la mort de Piccinni, en 1800, il le remplaça dans les fonctions d'inspecteur de l'enseignement au Conservatoire de musique : mais il comprit bientôt qu'il lui manquait les qualités nécessaires pour cet emploi, et deux ans après il s'en démit. Successeur de Grétry à la quatrième classe de l'Institut, en 1813, il obtint en 1816 la décoration de la Légion d'honneur; mais, parvenu à une extrême vieillesse, il ne jouit pas longtemps de ces honneurs, car il mourut à Paris le 14 janvier 1817, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. |
Ajoutons qu'il termina sa vie dans une totale cécité et qu'il laissa le souvenir d'un homme modeste, courtois, "aux manières simples et élégantes".
|
On peut voir sur youtube des extraits de la représentation (avec Brigitte Lafon et Francis Dudziak) du Déserteur donnée au Théâtre Impérial de Compiègne en 1994. Son opéra Le roi et le fermier, ressuscité en 2012, a été enregistré et un air en est utilisé ici. |