Convent du Grand Orient en 1854
Le Second Empire n'est jamais arrivé à faire de la maçonnerie un allié aussi efficace qu'elle l'avait été pour le Premier. Cet hymne, qui est consultable à la BNF sous la cote FM IMPR-2585, est une parfaite illustration de la manière dont Lucien Murat, Grand Maître du Grand Orient de France de 1852 à 1861, comprenait la maçonnerie et entendait y faire prévaloir ses conceptions. On sait (voir encadré ci-dessous) qu'en 1854 il avait convoqué un Convent extraordinaire pour adopter une nouvelle Constitution de l'Obédience conforme à ses vues personnelles et qui lui laisserait les mains libres pour la diriger à sa guise. Pour donner sans doute plus de solennité et de prestige à cet événement, un Frère aussi âgé que respecté, Boubée, très fidèle soutien de Murat (voir par exemple l'Ode qu'il lui a dédiée), fut chargé d'écrire un texte, mis en musique par le même compositeur que celui de son oratorio Les Cinq Voyages mystérieux : Malibran. |
Le texte exprime les thèmes prévisibles dans ce cadre : louange du Grand Maître et nécessité de lui apporter le concours de tous - espoir (inévitablement évoqué en toute occasion depuis un demi-siècle !) de la réunion des Rites - internationalisme (sous l'égide française) - prédominance de l'aspect philanthropique - croyance en Dieu. Et les notes de bas de page explicitent cela pour ceux qui n'auraient pas compris ...
Lucien Murat (1803-1878) est le fils de Joachim Murat et de Caroline Bonaparte. Ci-dessous l'essentiel de la notice lui consacrée par André Combes dans l'Encyclopédie de la Franc-maçonnerie par divers auteurs sous la direction d'Eric Saunier (Pochothèque, 2000) :
Une maçonnerie d'apparat : Cérémonie (dite "grandiose") d'installation de Murat en 1852. On remarque qu'elle ne se déroule pas dans un local maçonnique, mais bien dans un théâtre.
Dans le Tome II de son Histoire de la Franc-maçonnerie française (Fayard, 1974), Pierre Chevallier tire brillamment les conclusions de cet épisode :
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LE PROGRÈS MAÇONNIQUE,
HYMNE AVEC CHœUR,
A L'OCCASION
DU CONVENT MAçONNIQUE CONSTITUANT
DE 1854,
DÉDIÉ
Au Très Illustre Prlnce Lucien MURAT,
Grand Maître de l'Ordre Maçonnique en France.
Poésie du Frère BOUBÉE - Musique du Frère Malibran
1re STROPHE.
De ses brillants rayons quel astre nous éclaire
!
Après de longues nuits, quel éclat radieux !
D'où partent ces faisceaux, ces torrents de lumière
Dont la clarté vient éblouir nos yeux ?
REFRAIN
CHœUR :
Salut ! soleil
sacré de la Maçonnerie !
Tu les as dissipé ces nuages trompeurs,
Qui pour nous dérober ta lumière chérie,
Nous inondaient de leurs froides vapeurs.
2e STROPHE.
Maîtres ! l'illustre chef de notre ordre sublime
Rassemble, pour l'aider dans ses nobles travaux,
Et pour le seconder dans le but qui l'anime
Les ouvriers et les matériaux.
3e STROPHE.
Pour son pouvoir soumis aux lois de la sagesse,
A la sagesse même il demande un appui ; (1)
Frères ! qu'autour de lui chacun de nous se presse !
Rendons-le fort, nous le serons par lui.
4e STROPHE.
A ses yeux tolérants tout
Maçon est un frère ;
Pour qu'un dogme si doux soit une vérité,
Il veut, les ralliant sous sa noble bannière,
De tous les rits proclamer l'unité. (2)
5e STROPHE.
Des Maçons malheureux il veut sécher les
larmes ; (3)
Que la mort ne soit plus leur unique recours ;
Que la loi, dissipant de trop justes allarmes,
Protége enfin l'asile et le secours.
6e STROPHE.
Apôtres vénérés de la Maçonnerie,
Vous aurez dignement couronné vos travaux,
Si vous hâtez le jour où dans notre patrie
Le monde entier groupera ses drapeaux. (4)
7e STROPHE.
Gloire à
Dieu ! gloire à Dieu ! que ce cri retentisse
De notre âge à celui de nos derniers neveux !
Gloire à Dieu ! bénissons, adorons sa justice :
Il a comblé notre espoir et nos vœux.
(1) Moyens d'action
à donner au pouvoir dirigeant.
(2) L'unité des rites désirée par tous les Maçons.
(3) Société de secours mutuels des Enfants de
la Veuve.
(4) Congrès universel de 1855.
Boubée reproduit lui-même ce texte aux pp. 80-1 de ses Souvenirs maçonniques. Le Congrès, dont le projet est mentionné à la note 4, et dont Boubée dit (p. 82) être lui-même l'initiateur de l'idée, eut effectivement lieu, mais il ne put réunir que les Grandes Loges de Colombie, d'Irlande, de Virginie, des Pays-Bas et de Munster. Boubée en fait le compte-rendu, qu'il termine en reproduisant (pp. 86-8) l'Ode grandiloquente qu'il récita au Banquet de clôture. On trouve également cette ode (pp. 60-62) au compte-rendu officiel du Congrès.