Fêtes d'Adoption en 1828 à la Clémente Amitié

 

1. le 15 mars

Dans son Histoire de l'Ordre maçonnique en Belgique, Cordier écrit en 1854 (p. 571) :

Actuellement les loges d'adoption n'existent plus guère qu'à Paris. La plus brillante paraît être celle de la Clémente Amitié. La tenue la plus remarquable qui ait eu lieu dans cette loge, est celle du 15 mars 1828. Plus de trois cents frères et sœurs y assistaient. Ce fut une des plus brillantes fêtes de la franc-maçonnerie. On y remarquait le duc de Choiseul, les frères Dupin jeune, l'amiral sir Sidney Smith, Wright, colonel écossais, Soarez d'Avezedo, colonel suédois. Les travaux étaient dirigés par le frère Leblanc de Marconnay.

Il s'agissait en fait d'un grand événement mondain bien plus que maçonnique, rendez-vous de tout le gratin de l'écossisme parisien, dont les membres les plus en vue s'échangèrent pompeusement compliments et témoignages d'admiration pour leurs lumières éblouissantes et pour leurs positions sociales (comme le dira la Grande Maîtresse, la maçonnerie écossaise est gouvernée par d'illustres membres qui représentent les hautes notabilités de la pairie, de la magistrature et de l'armée).

L'encensoir, outil maçonnique ?

Il est vrai que, particulièrement dans les temps anciens, l'usage systématique de l'encensoir (souvent réciproque) a souvent tranché avec les idéaux maçonniques de modestie, de simplicité et d'égalité représentée par le niveau.

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Un article intitulé Le Grand-Orient et le Suprême-Conseil, paru dans le n° 2 (avril 1832) de la Revue de la franc-maçonnerie, après avoir :

  • rappelé que la constitution du Grand-Orient est essentiellement démocratique et qu'au contraire celle du Suprême-Conseil est basée sur le principe de la hiérarchie
  • déploré le conflit rémanent entre ces deux organismes, 
  • estimé que la prétention du Suprême-Conseil est fondée en droit et en raison, 

brocarde enfin férocement (p. 53) ce travers des dirigeants de ce dernier :

Il est vrai qu’au premier coup-d’oeil, la composition du Suprême-Conseil est plus séduisante que celle du Grand-Orient. Ici, ce sont de simples particuliers, sans titres nobiliaires ; là, ce sont, en très grande partie, des hommes à illustrations militaires, judiciaires, littéraires ou civiques. Mais ces grands personnages, auxquels nous nous plaisons d’ailleurs à rendre toute justice, au lieu d’user de l’influence de leur nom et de leur talent pour imprimer une direction glorieuse et utile aux loges dont ils sont les chefs, n’assistent que rarement aux travaux ; encore faut-il, pour qu’ils y viennent, que l’encens brûle devant eux. Il est même tel illustre frère, très haut placé dans la hiérarchie écossaise, qu’on ne parvient à y traîner qu’en mettant en jeu toute la puissance de la diplomatie et toutes les séductions de la flatterie. 

Cette séance académique fut si longue qu'une partie des discours prévus dut être reportée à une autre circonstance, de peur que la séance ne fût trop longue et ne fatiguât les aimables Soeurs (sic), grâce à quoi on put enfin passer aux récréations (distribution de bijoux, bal, numéros de music-hall du physionomane - i. e. grimacier - Leclerc) avant qu'à 1 heure du matin on ne passe au Banquet, qui ne se termina qu'aux premières lueurs du jour.

Le Tracé en a bien entendu été imprimé.

Il a été presque intégralement reproduit aux pp. 853 à 867 du Tome VI (années 1825 à 28) des Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 (accessible via la digithèque des bibliothèques de l’Université Libre de Bruxelles) d' Auguste de Wargny.

Nous reproduisons sur des pages séparées (dans la présentation de Wargny) les deux cantiques figurant au Tracé, à savoir :

  • celui du Vénérable, Leblanc de Marconnay

  • celui de l'Illustre Frère Deslauriers.

Cet événement dut faire une forte impression, puisque le même compte-rendu est reproduit ou utilisé :

  • en 1829 (pp. 156-8 et 163) dans le Volume 3 de La Maçonnerie, considérée comme le résultat des religions égyptienne, juive et chrétienne par Reghellini de Schio

  • en 1841 (pp. 487-92) au T. 3 du Globe, qui reproduit en sus (pp. 492-4) le discours non prononcé de Leblanc de Marconnay sur lequel on avait dû faire l'impasse 

  • et même encore, en 1894 (pp. 239-242), dans une perle de la littérature antimaçonnique (et antisémite), l'ouvrage La femme et l'enfant dans la franc-maconnerie universelle par Abel Clarin de La Rive. Celui-ci met particulièrement en évidence, dans le 5e couplet du cantique de Deslauriers, la phrase où l'on voit La fourbe et l'intolérance / Déchaîner leurs noirs démons.

2. le 22 décembre

Décidément bien documenté, Clarin de La Rive exploite dans son ouvrage (pp. 247-254) un autre document qu'il a pu se procurer, le tracé de la Loge d'Adoption tenue le 22 décembre de la même année par la même loge et présidée par le Frère Juge et la Soeur De Martial, avec la présence d'un nombre immense de frères et soeurs visiteurs (plus de 900 personnes). 

Le tracé complet de cette tenue se trouve dans le tome 3 du Globe, aux pp. 319-326, 350-359 et 461-466. Un aperçu avait déjà été donné antérieurement par ce journal, à la p. 15 du Tome 1.

Un rituel particulier y fut pratiqué pour les cérémonies d'Adoption.

Le programme comprenait également un hommage à la Soeur Impératrice Joséphine, dont le buste était placé dans le Temple, et une distribution de médailles.

La Soeur Pacault y faisait fonction de Soeur Orateur et récita une élégie.

On notera particulièrement le long (19 pages) discours de Juge sur l’Emancipation des femmes, considérée au point de vue de la Franc-Maçonnerie. C'est un curieux mélange d'idées qui se veulent progressistes et de préjugés conformes aux moeurs du temps, où successivement :

- il se demande quel avantage résulterait pour la femme de son accès aux charges de l'état, au barreau, dans les camps, qui pût la dédommager de ce qu'elle perdrait des douceurs de sa vie de famille. L'homme veillerait-il pour elle ou avec elle sur l'enfant qu'elle viendrait de mettre au monde ? aurait-il pour lui ces soins affectueux du jour et de la nuit qu'il trouve aujourd'hui dans sa mère ? 

- il passe en revue les femmes célèbres dans les arts, les lettres, les sciences, la bienfaisance, et même aussi (exceptionnellement !) la politique et les guerres (avec référence notamment à Jeanne d'Arc, madame de Xaintrailles, Charlotte Corday et Olympe de Gouges) pour en déduire que, ayant cessé d'être futiles, les femmes ont besoin d'une éducation plus en harmonie avec leur destination future et d'une instruction plus solide, superficielle peut-être encore, mais déjà plus en harmonie avec celle que nous recevons nous-mêmes ;

- conclut que le temps est venu où la Franc-Maçonnerie, qui avant tout est une science de progrès, ne doit plus faire de distinction entre les sexes quant aux épreuves morales qu'elle fait subir à ses récipiendaires ;

- et justifie ce choix dans la péroraison suivante :

Après avoir été bien longtemps stationnaire, nous dirons presque rétrograde, la société s'avance à grands pas dans une ère nouvelle de liberté, de travail et de régénération morale. C'est aux femmes à savoir comprendre le rôle nouveau qu'elles sont appelées à y jouer à l'avenir. Elles peuvent y acquérir une influence immense et salutaire pour tous ; il leur suffit de le vouloir.

L'illustre frère Helvétius, dans les quelques paroles de lui que nous avons rappelées au début de ce discours, a fait pressentir qu'elles ne devaient plus être un simple ornement de nos sociétés ; qu'elles n'étaient point nées seulement pour le plaisir des yeux, mais qu'elles pouvaient être appelées à de plus nobles destinées. Nous, Maçons, nous nous associerons de coeur et d'efforts à la pensée d'Helvétius, et nous dirons que de tous les genres d'émancipation auxquels peuvent être appelées les femmes, il n'en est aucun que nous devions leur désirer davantage que celui qui nous a porté à confondre ainsi les sexes dans notre formule d'initiation.

C'est parce que nous pensons que leur éducation actuelle est plus parfaite qu'elle ne l'a jamais été, parce que nous savons que chez elles un esprit plus développé permet d'être plus exigeant avec elles, et plus encore parce que nous comprenons bien l'influence toute-puissante qu'elles doivent avoir dans le monde, que le temps est passé où il était permis de ne pas considérer comme sérieuse leur agrégation aux travaux d'une société qui se propose pour but l'amour de ses semblables, le culte de la vertu et la régénération morale de la société civile, parce que nous croyons au contraire que nous ne devons pas négliger leur concours et que nous devons attendre d'elles une active coopération à notre oeuvre, que nous avons cru ne devoir établir aucune différence entre elles et nous-mêmes.

Cette émancipation toute intellectuelle en raison de laquelle nous devons chercher sans cesse à leur faire partager avec nous le bienfait d'une instruction plus solide, plus en rapport avec le rôle qui leur est destiné dans notre future régénération sociale, est la seule, ce nous semble, qu'elles doivent ambitionner, la seule aussi que notre amour jaloux puisse leur désirer.

Arrière donc, loin de nos temples, ces imprudents novateurs dont les coupables tentatives, si elles pouvaient réussir, auraient pour effet d'arracher à nos yeux le prisme enchanteur au travers duquel nous apercevons les femmes, semblables à des anges envoyés sur la terre par la bonté infinie du Créateur pour nous faire oublier nos souffrances, calmer nos douleurs, faire avorter nos sinistres appréhensions et concourir puissamment à l'amélioration de nos moeurs ! 

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