Napoléon jardinier ?

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Ces couplets figurent aux pp. 248-9 du Code Récréatif des Francs-Maçons de Grenier. 

Leur principal intérêt est d'être l'oeuvre d'un écrivain maçonnique connu, Boubée.

Nous n'avons pas trouvé la moindre information quant à une Loge qui aurait porté le titre distinctif de la véritable Réunion écossaise.

C'est Boubée lui-même qui nous révèle la genèse de cette chanson. Dans ses Souvenirs maçonniques précédés d'une notice historique sur l'origine de la Franc-maçonnerie (1866 ; l'ouvrage a été réédité en facsimile par Slatkine à Genève en 1987), il écrit en effet (pp. 46-7) :

... L'administration des transports militaires, satisfaite de la manière dont j'avais rempli à Toulouse la mission qu'elle m'avait confiée, me chargea d'aller en remplir une semblable dans la Belgique ; cette nouvelle mission me fut d'autant plus agréable, qu'elle me fournit l'occasion d'aller faire une visite à mon protecteur, M. Pérès, qui était alors préfet du département de Sambre-et-Meuse, à Namur.

J'arrivai dans cette ville au moment où l'on célébrait, dans toute la France, la fête de la Paix d'Amiens.

A la sollicitation de mon ami, je composai à la hâte un vaudeville de circonstance, intitulé la Fête villageoise, que le préfet fit jouer sur le théâtre de Namur.

Je rentrai à Paris, au moment où le Grand Orient célébrait la même fête par un banquet.

Je m'inscrivis au nombre des convives, et je me trouvai placé à côté du Frère Dérivis, artiste de l'Opéra, et membre ainsi que moi, de la Respectable Loge de l'Age d'Or [ndlr : Dérivis est mentionné ici comme ayant interprété une autre chanson de Boubée].

Lorsque l'heure de la récréation fut arrivée, et que les chants furent permis, je communiquai au Frère Dérivis les deux couplets suivants, extraits du vaudeville que j'avais fait représenter à Namur, avec prière de les chanter.

[suit le texte, comme ci-dessous à l'exception du 3e vers, qui devient ici Qui s'élevant à la hauteur]

Le Frère Dérivis chanta ces couplets d'une voix si expressive, qu'il obtint les applaudissements les plus chaleureux. Les couplets furent inscrits, avec le plus grand éloge, dans le premier numéro de l'almanach des Muses de l'année.

Un an à peine après la Paix de Lunéville, déjà célébrée avec faste par le Grand Orient, la Paix d'Amiens du 25 mars 1802 entretenait l'espoir d'une paix durable et renforçait la popularité de Bonaparte, à l'époque encore Premier Consul qualifié plus bas de jeune guerrier. La vénération à son égard, qui allait connaître tant de développements, trouve ici une nouvelle manifestation, et Boubée y paie son tribut, d'une manière un peu plus imaginative que d'autres.

Voir la partition de l'air mentionné, Femmes, voulez-vous éprouver ?  


             

COUPLETS

 

Chantés à l'occasion de la fête de la paix, à la Respectable Loge de la véritable Réunion écossaise

 

Paroles du Frère Boubée.

 

Air : Femmes voulez-vous éprouver ?

 

La France était comme une fleur
Perdue au milieu des épines,
Leur nombre couvrant sa fraîcheur,
Cachait ses couleurs purpurines ;
Des boutons à peine naissans
Entouraient la fleur demi-close,
Et des insectes dévorans
Mangeaient les boutons et la rose.

 

Mais, par bonheur, un jardinier
Lui prodiguant des soins utiles,
Prit pitié du pauvre rosier
Et chassa d'abord les reptiles ;
Puis des épines, de sa main,
Otant chaque jour quelque chose,
Il a si bien fait, qu'à la fin,
Il n'est plus resté que la rose.

Ces couplets sont immédiatement suivis (pp. 249-50) d'une réponse (sur le même air, le même thème ... et le même ton) par le Frère Savar (il pourrait s'agir de Jean Baptiste Pierre Jacques Savard, 1748-?, premier commis de mairie dans le 3e arrondissement, devenu Officier du Grand Orient en 1796 ; il est mentionné à la p. 252 de l'ouvrage de Pierre Mollier et Pierre-François Pinaud, L'état-major maçonnique de Napoléon, Ed. A L'Orient, 2009).


    

RéPLIQUE

 

Même air.

 

Paroles du Frère Savar.

 

Dans ces couplets mystérieux,
Français reconnais ta Patrie,
Et sache rendre grâce aux dieux
Qui la couvrent de leur génie.
Dans cet habile jardinier,
Qui sur les lauriers se repose ,
Reconnais le jeune guerrier
Qui sut garantir cette rose.

 

Frères, cultivons les vertus,
C'est pour nous le plus digne ouvrage ;
Chérissons les de plus en plus,
Doublons de zèle et de courage.
Que chacun de nous, tous les jours,
Soigne ces fleurs et les arrose ;
Frères, nous saurons pour toujours
Conserver l'éclat de la rose.

Nous avons découvert une version plus ancienne de ces couplets et de leur réplique aux pp. 47-8 du Tome 2 (1801) du Miroir de la Vérité d'Abraham. Cette édition nous donne en outre l'une ou l'autre précision : la date du 26 Brumaire (17 novembre) à la véritable Réunion écossaise pour la chanson et le fait que le Frère Savar était substitut au Secrétariat Général du Grand Orient

Elle précise également qu'il s'agissait de la fête de la Paix Générale ; or cette fête eut lieu le 18 brumaire de l'an X (9 novembre 1801) pour célébrer, non la Paix d'Amiens (du 25 mars 1802) comme l'écrit Boubée (dont ce n'est pas la seule confusion dans les souvenirs), mais l'ouverture à Londres des négociations préliminaires, le 1er octobre 1801. D'autres Loges ont également célébré cette fête.

Les souvenirs de Boubée sont en tout cas exacts en ce qui concerne ses prestations namuroises, comme en témoigne l'extrait ci-dessous (p. 26) de la Bibliographie namuroise de François Désiré Doyen (1887).

 

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