Paër
En cliquant ici, vous entendrez un extrait de son air (1810) La gloria al masimo degli Eroi, interprété par la soprano Majella Cullagh accompagnée par Suzan Drake à la harpe et David Harper au piano (CD La Potenza d'Amore Opera Rara 208)
Ferdinando Paër (1771-1839) fut un compositeur particulièrement doué et prolifique (55 opéras). Il semble avoir été aussi particulièrement habile à obtenir les fonctions les plus glorieuses et les plus rémunératrices. D'après Fétis, cette préoccupation prédomina chez lui au point de lui faire négliger son oeuvre musicale. Le Dictionnaire des Girouettes en 1815 (p. 371) et le Nouveau Dictionnaire des Girouettes en 1832 (p. 463) ironisent férocement sur les volte-face de sa courtisanerie. Bossu le donne comme membre de la Loge Sainte-Caroline en 1809. Mais c'est de 1819 que date sa cantate maçonnique Les Nombres. On trouve ici bon nombre de ses partitions.
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Fétis lui consacre près de 4 pages dans son Tome 6, et s'y montre aussi élogieux pour son talent que féroce pour sa personne :
PAER (Ferdinand), compositeur distingué, naquit à Parme, le 1" juin 1771 ... Paër apprit, presque en se jouant, les éléments de la musique ; un organiste de quelque mérite, et Ghirelti, ancien élève du Conservatoire de la Pietà de' Turchini, et violoniste au service du duc de Parme, lui enseignèrent la composition. Mais la nature lui avait donné moins de persévérante volonté, nécessaire pour de fortes études, que l'instinct de l'art et le besoin de produire. A seize ans, il s'affranchit des entraves de l'école, et s'élança dans la carrière du compositeur dramatique. Son premier ouvrage fut La Locanda de' vagabondi, opéra bouffe où brillait déjà la verve comique qui fut une des qualités distinctives de son talent. I Pretendenti burlati succédèrent bientôt à ce premier essai ; bien que Paër ne fût point encore parvenu à sa dix-septième année lorsqu'il écrivit cette partition ; bien qu'elle ne fût destinée qu'à un théâtre d'amateurs, elle est restée au nombre de ses productions où l'on remarque les mélodies les plus heureuses et le meilleur sentiment d'expression dramatique. Le succès de cet opéra ne fut point renfermé dans les limites de la villa où il avait vu le jour ; on en parla dans toute l'Italie, et bientôt le nom du jeune maître retentit avec honneur à Venise, à Naples et à Rome. Vingt opéras, dont la plupart obtinrent la faveur publique, se succédèrent avec rapidité. A Venise, pour être nommé maître de chapelle, Paër écrivit en peu de temps : Circe, I Molinari, I due Sordi, l'Intrigo amoroso, l'Amante servitore, la Testa riscaldata, la Sonnanbula ; à Naples, il donna Ero e Leandro, dont le rôle principal avait été composé pour la célèbre cantatrice Billington ; à Florence, parurent Idomeneo et l'Orfana riconosciuta; à Parme, Griselda, un des meilleurs ouvrages du maître ; il Nuovo Figaro, il Principe di Taranto ; à Milan, l'Oro fa tutto, Tamerlano, la Rossana ; à Rome, Una in bene ed una in male ; à Bologne, Sofonisbe; à Padoue, Laodicea, et Cinna. Pour tant d'ouvrages, moins de dix ans avaient suffi au compositeur, malgré les dissipations de la vie de plaisirs où il s'était plongé. Gai, spirituel, et doté de tous les avantages qui procurent aux hommes de certains succès, il passait sa vie près des femmes de théâtre. L'une d'elles, devenue madame Paër, fut une cantatrice distinguée. Séparée ensuite de son mari, elle se retira à Bologne.
Paër, écrivant en Italie, avait pris pour modèles Cimarosa, Paisiello et Guglielmi, soit pour la disposition générale de ses compositions dramatiques, soit pour le style des mélodies bouffes et sérieuses ; son génie personnel ne s'était manifesté que dans les détails. Appelé à Vienne, en 1797, il y entendit la musique de Mozart, et dès lors une modification sensible se fit remarquer dans son talent; son harmonie devint plus vigoureuse, son instrumentation plus riche, sa modulation plus variée. C'est à cette deuxième manière qu'appartiennent ses opéras I Fuorusciti di Firenze, Camilla, Ginevra degli Almieri, Achille et Sargine. Ces ouvrages, une Leonora ossia l'Amore conjugale, que le Fidelio de Beethoven a fait oublier, quelques petits opéras bouffes, de grandes cantates et plusieurs oratorios, furent les principales productions de Paër, à Vienne, à Dresde el à Prague. Après la mort de Naumann, vers la fin de 1801, l'électeur de Saxe crut ne pouvoir mieux le remplacer que par l'auteur de Griselda. Fixé à Dresde pendant plusieurs années, Paër y travailla ses ouvrages avec plus de soin qu'il n'avait fait jusqu'alors, et c'est de cette époque que datent ses meilleures compositions. Au commencement de 1803, il visita Vienne de nouveau, et y écrivit un nouvel oratorio pour le concert au bénéfice de la caisse des veuves d'artistes. L'année suivante, il fit un voyage en Italie, où il était appelé pour écrire de nouveaux opéras. De retour à Dresde, il y occupait encore son honorable position lorsque cette ville fut envahie par l'armée française, dans la campagne de 1806. Charmé par la représentation du nouvel opéra Achille, Napoléon voulut attacher à son service le compositeur de cette partition, et par ses ordres, un engagement où le roi de Saxe intervint, et qui fut revêtu des formes diplomatiques, fut fait à Paër pour toute sa vie, avec un traitement qui, réuni à divers avantages, lui composait un revenu de cinquante mille francs.
Paris semblait devoir exercer sur l'auteur de Camilla et de Sargine l'heureuse influence qu'il avait eue sur d'autres artistes célèbres de l'Italie et de l'Allemagne, c'est-à-dire, transformer son talent, lui donner un caractère plus élevé, plus dramatique, et surtout lui faire justifier par de belles compositions le choix que l'empereur avait fait de lui pour diriger sa musique, à l'exclusion de quelques musiciens illustres que la France possédait alors. Il n'en fut point ainsi, car dès ce moment Paer borna lui-même sa carrière aux soins d'une courtisanerie peu digne d'un tel artiste. Incessamment occupé de détails de représentations à la cour ou de concerts, on !e vit, à trente-six ans, à cette belle époque de la vie où le talent acquiert ordinairement tout son développement et son cachet individuel, on le vit, dis-je, ne plus produire qu'à de longs intervalles un Numa Pompilio, une Didone, une Cleopatra, et des Baccanti, qui n'ajoutèrent rien à sa renommée. Accompagnateur parfait et chanteur excellent, c'était aux succès de ces deux emplois qu'il avait borné son ambition, parce que cette ambition s'était rétrécie jusqu'au désir unique de plaire au maître. Dès ce moment, Paer offrit l'affligeant spectacle d'un grand musicien qui prenait plaisir à s'abaisser lui-même pour mériter quelques faveurs de plus ; et telle fut la funeste habitude qu'il prit d'une existence si peu digne de son talent, qu'il n'en connut plus d'autre jusqu'à la fin de ses jours. Lorsque le prince qui payait ses services avec tant de magnificence eut été renversé du trône, ce ne fut point à son génie, jeune encore et vigoureux, que Paër demanda des ressources contre l'adversité ; faible comme tous les hommes de cour que la fortune abandonne, il ne sut que se plaindre et se rabaisser encore ; jusque-là qu'il se mit à remplir chez des particuliers le rôle qu'il avait joué près de Napoléon. On le voyait chaque matin, courant chez des chanteurs ou des instrumentistes, perdre son temps à préparer des soirées de musique, à concilier de petits intérêts d'amour-propre, et quelquefois à ourdir de misérables intrigues contre l'artiste qu'il n'aimait pas, ou dont il croyait avoir à se plaindre. Après que la restauration et le duc d'Orléans, plus tard roi des Français, lui eurent donné de l'emploi, et lorsque la direction de la musique du Théâtre-Italien lui eut été rendue, il n'en continua pas moins ses courses quotidiennes, ses habitudes d'homme de salon, et ses petites machinations.
Pourtant ce n'était pas, comme on pourrait le croire, que son talent se fût affaibli. Dans un voyage qu'il fit à Parme, en 1811, on obtint de lui qu'il écrivit un opéra pour une société d'amateurs. Son génie se réveilla ; la partition de l'Agnese fut rapidement composée, et cet ouvrage, uniquement destiné d'abord aux plaisirs d'un château, devint le plus beau titre de gloire de son auteur. Qui n'aurait cru que le succès universel de cette belle partition aurait fait renaître la noble ambition du talent au cœur de l'artiste qui l'avait conçue ? Eh bien, il n'en fut point ainsi ; car après le triomphe de l'Agnese, douze ans s'écoulèrent sans que Paër songeât à demander de nouvelles inspirations à son génie. On s'étonnait qu'avec sa parfaite connaissance de la langue française, son esprit vif et sa gaieté pleine de verve, il n'eût jamais écrit pour la scène française. Il est vrai qu'il parlait souvent d'une partition d'Olinde et Sophronie, et qu'il se plaignait qu'on n'eût pas voulu la mettre en scène à l'Opéra ; mais je crois qu'il n'avait composé qu'un petit nombre de morceaux de cet ouvrage, et que sa paresse était d'accord avec l'insouciance du directeur de l'Académie royale de musique. Quoi qu'il en soit, Paër avait atteint sa cinquantième année, lorsque, cédant à des importunités de salon plus qu'au besoin de produire, il écrivit la musique du Maître de chapelle, charmant opéra comique où l'on trouve trois morceaux devenus classiques, et dignes des artistes les plus célèbres de l'école moderne. Mais ce réveil du talent ne fut encore qu'un caprice, et celui que la nature avait si libéralement doué continua à se montrer ingrat envers elle.
La mort de Cimarosa, et la vieillesse de Paisiello avaient laissé Paër possesseur du sceptre du Théâtre-Italien (NDLR : Fétis parle évidemment ici de l'opéra italien, et non de la scène parisienne de ce nom comme au paragraphe suivant), en partage avec Mayr. Depuis 1801 jusqu'en 1813, c'est-à-dire jusqu'à l'apparition du Tancredi de Rossini, il n'y eut point en Italie de compositeur qui pût lutter avec ces maîtres ; car quelques succès de verve comique obtenus par Fioravanti ne le mirent jamais sur la même ligne. Il faut même avouer que la nature avait été plus prodigue de ses bienfaits pour l'auteur de l'Agnese que pour celui de Medea, et que celui-ci devait plus au travail et à l'expérience qu'à l'inspiration. Jamais circonstances ne furent plus favorables au talent que celles où Paër fut placé, pour se faire une grande renommée et atteindre le but élevé de l'art. Manqua-t-il de l'inspiration nécessaire pour remplir une si belle mission? Je crois pouvoir répondre affirmativement à cette question, malgré la haute estime que j'ai pour le mérite de ce compositeur, et bien que je croie qu'avec plus de foi dans l'art il aurait pu s'élever davantage. Si l'on étudie avec attention les meilleures productions de Paër, on y trouvera de charmantes mélodies, et même de longues périodes qui décèlent un sentiment profond. L'expression dramatique y est souvent heureuse ; l'harmonie et l'instrumentation ont de l'effet et du piquant ; quelquefois même, particulièrement dans l'Agnese, le compositeur s'élève jusqu'au plus beau caractère ; mais, quel que soit le prix de ces qualités, on ne peut nier qu'elles ne suffisent pas pour constituer de véritables créations d'art, et que celles-ci ne sont le fruit que de l'originalité de la pensée. De là vient que le goût sembla sommeiller à l'égard de l'opéra italien pendant les douze premières années du dix-neuvième siècle. La musique de Paër faisait éprouver de douces, d'agréables sensations aux amateurs, mais ne les livrait point aux transports d'admiration qui avaient autrefois accueilli les œuvres de Cimarosa et de Paisiello, et qui se réveillèrent pour les hardiesses de Rossini.
En 1812, Paër avait été choisi par Napoléon pour succéder à Spontini dans la direction de la musique du Théâtre-Italien ; il conserva cette position après la restauration de 1814, mais sa fortune reçut un notable dommage, par la réduction considérable que subit son traitement. En vain réclama-t-il l'intervention des souverains alliés qui se trouvaient alors à Paris, pour l'exécution de l'engagement contracté envers lui par des actes diplomatiques ; il dut se contenter du titre de compositeur de la chambre du roi, dont les appointements furent fixés à douze mille francs. Deux ans après, il fut nommé maître de chant de la duchesse de Berry, et plus tard, le duc d'Orléans le choisit pour diriger sa musique. Lorsque madame Catalani eut obtenu l'entreprise de l'Opéra-Italien, elle choisit Paër pour en diriger la musique : sa faiblesse pour les prétentions de cette femme, qui croyait pouvoir tenir seule lieu d'une bonne troupe de chanteurs, et qui avait réduit aux plus misérables proportions l'orchestre et les choristes, cette faiblesse, dis-je, compromit alors le nom de Paër aux yeux des artistes et des amateurs instruits : elle eut pour résultat, en 1818, la destruction et la clôture du théâtre. Au mois de novembre 1819, la maison du roi reprit ce spectacle à sa charge, et Paër eut la direction de la musique : cette époque fut celle où il se fit le plus d'honneur par les soins qu'il donna à la bonne exécution de la musique. Cependant on remarqua qu'il éloignait autant qu'il pouvait le moment de l'apparition, à Paris, des opéras de Rossini, et que lorsqu'il fut obligé de mettre en scène le Barbier de Séville, pour le début de Garcia, et de lui faire succéder quelques autres ouvrages du même compositeur, il employa certaines manœuvres sourdes pour nuire à leur succès. D'assez rudes attaques lui furent lancées à ce sujet, dans un pamphlet intitulé : Paër et Rossini (Paris, 1820). En 1823, la direction du Théâtre-Italien fut donnée à Rossini ; Paër donna immédiatement sa démission de sa place de directeur de la musique ; mais elle ne fut pas acceptée, et pour ne pas perdre sa position près du roi, il fui obligé de rester attaché à ce théâtre dans une situation subalterne ; mais dès ce moment il cessa de prendre part à l'administration. Après la retraite de Rossini, en 1826, la direction fut rendue à Paër, mais le théâtre était dans un état déplorable ; il n'y avait plus de chanteurs , et le répertoire était usé. Cette époque ne fut pas favorable à l'Opéra-Italien de Paris ; les fautes de l'administration précédente furent imputées à l'auteur de l'Agnese, et sa destitution lui fut envoyée au mois d'août 1827, dans un moment d'humeur du vicomte de Larochefoucauld, alors chargé des beaux-arts au ministère de la maison du roi. Plusieurs journaux applaudirent à cette mesure ; mais Paër démontra jusqu'à l'évidence, dans une brochure intitulée : M. Paër, ex-directeur du Théâtre-Italien, à MM. les dilettanti (Paris, 1827, in-8°), que les fautes qu'on lui reprochait étaient celles de ses prédécesseurs. En 1828, il obtint la décoration de la Légion d'honneur : précédemment, il avait été fait chevalier de l'Éperon d'or. En 1831, l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France le choisit comme un de ses membres, pour la place devenue vacante par la mort de Catel, et l'année suivante, le roi des Français le chargea de la direction de sa chapelle. Le 3 mai 1839, Paër succomba aux suites d'une caducité précoce ; peut-être ne fut-il pas assez ménager des avantages d'une robuste constitution. A soixante-huit ans, ses forces épuisées l'ont abandonné comme s'il en eût eu quatre-vingts; mais jusqu'au dernier jour, il a conservé les qualités d'un esprit vif et fin, un goût délicat, et même une rare facilité de production. [suit une liste des oeuvres de Paër, comportant 76 items]