Saint-Jean d'Eté 5810 au GOdF

 

Ce feuillet de 4 pages est catalogué par la BNF (Notice FRBNF38773040) sous la cote FM BAYLOT IMPR-2400 et le titre :

Grand Orient DE FRANCE - Fête de Saint-Jean d'été 5810

Il fait la paire avec une cantate exécutée dans les mêmes circonstances.

 

Comme à l'habitude, pour concourir au prestige de la manifestation, le choix de certains textes, musiques et interprètes fait appel à des noms considérés comme prestigieux.

Les textes

Les textes (qui sont soit recopiés d'autres auteurs, soit, à première vue du moins, originaux) sont un patchwork de divers thèmes soit classiques soit de circonstance : invocation au Grand Architecte - hymne à l'amitié fraternelle - hommage au Grand Maître (qui est chéri comme un père) - enthousiasme (particulièrement flagorneur) pour le récent (en avril) mariage impérial (avec Marie-Louise).

Les musiques

Le programme comporte 7 pièces chantées ; 4 utilisent des airs successivement de Haydn, Rameau, Paër et Mozart ; il n'est par contre rien spécifié pour les 3 autres, qui pourraient être de la plume du Frère Bertin, désigné non seulement comme interprète, mais aussi comme ordonnateur des musiques, et dont nous savons qu'il était également compositeur.

1. Pour le trio initial, il est mentionné musique de l'oratorio d'Haydn. 

La Création

Cet oratorio est en fait La Création sur un texte de van Swieten. Il avait effectivement été présenté à Paris en 1800 avec un texte français, oeuvre de Joseph-Alexandre, vicomte de Ségur (1756-1805). Ce texte est consultable aux pp. 14-29 de ce document ou ici.

Il est précisé en note que ces paroles sont prises dans l'oratorio même que M. de Ségur a traduit.

C'est effectivement le cas pour les vers (chantés par Raphael à la prière précédant le choeur final de la 2e partie)

L’Homme n’est rien sans ton regard,
il est victime du hasard
tremblant et languissant,
perdu la mort l’attend.

qui figurent bien aux pp. 95-96 de  la partition pour piano et chant et 212-213 de la partition complète ainsi qu'à la p. 16 du livret.

Ces vers correspondent aux suivants dans la version originale allemande :

Du wendest ab dein Angesicht,
Da bebet alles und erstarrt.
Du nimmst den Odem weg,
In Staub zerfallen sie.

dont une autre traduction (celle de Louis Henry proposée ici) est la suivante :

Si d'eux tu détournes la face
Soudain les glace la terreur ;
Ils tombent en poussière,
Ils sont anéantis.

et dont une traduction plus littérale pourrait être :

Si tu détournes ton visage
Tout tremble et se fige.
Tu leur coupes le souffle
Ils tombent en poussière.

Une partition allemande correspondante est visible aux pp. 96-7 de cette édition. On remarque quelques petites différences (notamment sur la première note) entre les partitions allemande et française (celle de 1800, qui est d'ailleurs pleine de fautes de copie), attribuables à la nécessité de coller à la prosodie du texte français

Voici les extraits correspondants (n° 26) de la version allemande d'origine :

    

    

Nous n'avons par contre pas trouvé au texte de Ségur les 4 premiers vers du trio :

Reçois nos voeux, Dieu bienfaisant,
Unique source de lumière ;
Dispense-les toujours sur nous et sur nos frères ;
Ils t’offrent le tribut d’un cœur reconnaissant.

 2. Il est mentionné en note au texte du récit qui suit que ces paroles sont d'un Frère de la Respectable Loge de l'Age-d'Or, et tirées d'un recueil maçonnique. Il s'agit effectivement de 8 vers prélevés (avec une inversion pour les deux premiers) dans les 20 que comporte un DISCOURS EN VERS Prononcé par un des membres de la députation envoyée par la Respectable Loge de l'Age d'Or, à celle d'Anacréon, le jour de la célébration de la fête de l'ordre, présidée par le Frère Muraire, son vénérable d'honneur, le 27 août 1806 (ère française), discours qui figure aux pp. 156-7 du Code Récréatif des Francs-Maçons de Grenier (1807). Rien n'est par contre précisé en ce qui concerne la musique de ce récit.

Que tu répands en nous de plaisirs et de charmes, 
Amitié fraternelle, idole des Maçons, 
En vain, pour étouffer le fruit de tes leçons, 
Contre nous la Discorde aiguiserait ses armes. 
Ah ! lorsqu'au fond de l'ame on porte comme nous
Le zèle le plus pur, l'amour le plus sincère, 
En les manifestant, qu'il est beau, qu'il est doux
De retrouver son coeur dans celui de son frère.

3. L'air qui suit, Présent des dieux, est mentionné comme se chantant sur l'Hymne de Castor et Pollux.

l'Hymne de Castor et Pollux

Cette mention renvoie à l'opéra Castor et Pollux (1754) de Rameau et à son air (acte 3, scène 1) dont le texte est le suivant : 

Présent des dieux, doux charme des humains, 
Ô divine amitié, viens pénétrer nos âmes : 
Les cœurs éclairés de tes flammes, 
Avec des plaisirs purs, n’ont que des jours sereins. 
C’est dans tes nœuds charmants que tout est jouissance : 
Le temps ajoute encore un lustre à ta beauté : 
L’Amour te laisse la constance ; 
Et tu serais la volupté, 
Si l’homme avait son innocence, 
Présent des dieux, etc. 

Cet air est repris comme tel, avec son texte.

On en trouve une partition ici (voir en particulier la partie vocale ici). 

En voici 3 versions enregistrées :

       

4. Les paroles du Récit qui ouvre l'hommage au Grand Maître semblent être originales et avoir été écrites pour la circonstance. Rien n'est précisé en ce qui concerne la musique de ce récit.

5. Le texte de l'air constituant la seconde partie de l'hommage au Grand Maître semble également original, mais il se chante sur une musique de M. Paër (qui, curieusement, n'est pas ici désigné comme Frère). Aucune précision n'est donnée qui permettrait d'identifier l'oeuvre concernée parmi toute la production de ce compositeur prolifique.

6. Les paroles du Récit qui suit l'hommage au Grand Maître et qui célèbre le mariage du plus grand des héros et l'espoir de paix universelle qu'il est censé apporter semblent être originales et avoir été écrites pour la circonstance. Rien n'est précisé en ce qui concerne la musique de ce récit.

7. Le choeur final est encore un hommage appuyé et particulièrement courtisan au mariage impérial. Il est mentionné Musique de Cosi fan Tutte, opéra de Mozart.

Musique de Cosi fan Tutte ?

Cette mention n'est évidemment pas suffisante pour une identification certaine.

On pourrait imaginer qu'il s'agisse du choeur Bella vita militar du premier acte ou du Tutti terminal du finale, Fortunato l'uom che prende :

   

Qui va proposer une meilleure idée ?

Il est mentionné que les paroles (d'incipit Viens, ô dieu de l'hyménée) sont de M. Bailly, auteur de plusieurs opéra. Nous n'avons pu identifier celui-ci avec certitude (serait-ce le fabuliste Antoine Le Bailly, ami du maçon Court de Gébelin ? ou le Frère Bailly, officier du Grand Orient, auteur du texte de cette chanson de Taskin en 1819 ? )

Les interprètes

Dans ces cérémonies, les chanteurs sont d'habitude choisis parmi les maçons vedettes de la scène d'opéra. Celui qui ici est mis particulièrement en évidence, Bertin (qui est aussi l'arrangeur), nous est bien connu. Nous n'avons par contre pas trouvé de trace, ni dans le monde profane ni dans le monde maçonnique, des trois autres, Pottier, Théodore et Murgeon.

Grand Orient DE FRANCE.

 

FÊTE DE SAINT-JEAN d'ÉTÉ 5810.

 

 

La musique est arrangée par le Frère BERTIN, artiste de l'Académie Impériale de Musique.

 

 INVOCATION AU Grand ARCHITECTE.

 

TRIO

Chanté par les Frères Bertin, Pottier, Théodore.

Musique de l'oratorio d'Haydn.

 

Reçois nos voeux, Dieu bienfaisant,
Unique source de lumière ;
Dispense-les toujours sur nous et sur nos frères ;
Ils t’offrent le tribut d’un cœur reconnaissant.
L’Homme n’est rien sans ton regard,
il est victime du hasard.
Tremblant 
Et languissant,
Perdu !..... la mort l’attend. (1)

Reçois nos voeux, etc.

 

(1) ces paroles sont prises dans l'oratorio même que M. de Ségur le jeune a traduit.

 

 

RECIT ET AIR

 

Chantés par le Frère Bertin.

Que tu répands en nous de plaisirs et de charmes, 
Amitié fraternelle, idole des Maçons !
En vain, pour étouffer le fruit de tes leçons, 
Contre nous la Discorde aiguiserait ses armes. 
Ah ! lorsqu'au fond de l'âme on porte comme nous
Le zèle le plus pur, l'amour le plus sincère, 
En les manifestant, qu'il est beau, qu'il est doux
De retrouver son coeur dans celui de son frère. (2)

 

Hymne de Castor et Pollux.

 

Présent des Dieux, doux charme des humains, 
Ô divine amitié, viens pénétrer nos âmes ! 
Les cœurs éclairés de tes flammes 
Avec des plaisirs purs n'ont que des jours sereins. 
C’est dans tes nœuds charmants que tout est jouissance : 
Le temps ajoute encore un lustre à ta beauté : 
L’Amour te laisse la constance,
Et tu serais la Volupté, 
Si l’homme avait son innocence.

Présent des Dieux, etc.

 

(2) ces paroles sont d'un Frère de la Respectable Loge de l'Age-d'Or, et tirées d'un recueil maçonnique.

 

 

 

AU Très Sérénissime Grand MAITRE.

 

récit et air

Chantés par le Frère Pottier.

 

 

RÉCIT.

Un charme nouveau nous engage
Au milieu de ces doux accords.
A notre illustre chef pour offrir notre hommage,
Frères, en ce grand jour redoublons nos transports.

 

AIR.

Musique de M. Paër.

O toi qui d’un zèle prospère
As pour nous des soins si touchants,
Nous te chérissons comme un père,
Aime-nous comme tes enfans.

 

RÉCIT

Chanté par le Frère Bertin.

Applaudissons, Français ; de nos chants d’allégresse
Faisons retentir les échos.
Célébrons l’union d’une illustre princesse
Avec le plus grand des héros.
Oui, pour jamais cette heureuse alliance,
En assurant le bonheur de la France,
Au monde entier va rendre le repos.

 

 

 

CHOEUR.

Chanté par les Frères Bertin, Théodore, Pottier et Murgeon.

Musique de Cosi fan Tutte, opéra de Mozart.

Viens, ô dieu de l'hyménée,
Viens bénir leur destinée.
De bonheur comble leurs jours ;
Que les Jeux, les Ris, les Grâces
En tous lieux suivent leurs traces
Sous l’escorte des Amours.

Quelle aimable souveraine !
C’est Minerve qui l’amène !
Sur les rives de la Seine
Tout s’anime à ses regards.
La bonté sourit en elle,
Des vertus c’est le modèle ;
Disons tous : Gloire immortelle
A la fille des Césars ! (3)

 

(3) Ces paroles sont de M. Bailly, auteur de plusieurs opéra.

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