Les Loges des Trinosophes
La Très Sainte Trinosophie est (voir ci-dessous à gauche) un ouvrage ésotérique attribué au très fumeux Comte de Saint-Germain, ouvrage dont il ne subsiste qu'un seul exemplaire, le manuscrit illustré 2400 de la Médiathèque de Troyes, qui l'a rendu accessible aux surfeurs. Le texte en a été reproduit (pp. 5-45) dans le Tome V des Annales maçonniques, accessible sur Google-Books.
La loge Les Vrais Amis, fondée en 1814 à Paris par Ragon, se rebaptisa en 1816 en Loge chapitrale et aréopagiste française et écossaise Les Trinosophes, avec l'ambition de devenir l'école normale de la franc-maçonnerie ( ! ). Nous ignorons si ce nom a été choisi par référence à l'ouvrage ci-dessus, ou par attrait pour un néologisme d'allure très maçonnique, puisque vraisemblablement formé du latin trinus (triple) et du grec sophia (sagesse). |
Ragon explique en tout cas que Trinosophe signifie qui sait ou étudie trois sciences, par allusion aux trois premiers grades qui sont toute la Maçonnerie antique dont le Trisonophe doit être l'observateur et le gardien fidèle.
Toujours est-il que cette Loge, de par la qualité intellectuelle de ses travaux, acquit une grande notoriété et un grand prestige, dont témoigne par exemple son jumelage en 1824 avec la Loge bruxelloise de l'Espérance (également prestigieuse, puisqu'elle était celle du Prince d'Orange), rapporté (T. 2, pp. 167-176) par Dubreuil dans son Histoire des Francs-maçons (Bruxelles, 1838) et, avec plus de détails, aux pp. 245-264 des Oeuvres maçonniques de Des Etangs.
Dans son ouvrage
Le secret de Bruges-la-Morte, Joël Goffin raconte (p. 16, à la
suite d'un portrait de Ragon) :
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Dans le volume 1 (p. 117) de son Précis historique, Bésuchet se montre peu sensible à cette prestigieuse réputation :
1815. - Un frère modeste et instruit, le frère Ragon ... fonde la loge des Trinosophes, et en est le premier vénérable.
Cette loge, établie comme toutes ses émules, sur les bases les plus sages, a, plus tard et pendant un certain temps, visé à un éclat plus brillant que solide, en cherchant à attirer les visiteurs par une pompe inusitée ...
On a proclamé ses orateurs, annoncé partout ses réceptions, dites à l'antique, sa maîtrise à musique, et la foule est accourue ; les hommes de goût y allaient pour entendre les frères Dupin, Berville et autres ; le peuple maçon, pour voir les travaux mélodramatisés ; les réceptions étaient bouleversées et dénaturées, mais tout faisait spectacle : et la plupart des amateurs, imitant l'engouement de ces bons citadins qui, chaque soir, vont admirer l'effet d'un spectacle sans trop s'embarrasser de la moralité de la pièce, sortaient enchantés en s'écriant : la belle loge !... les belles choses !
Les réceptions de ce genre étaient invariablement les mêmes, quant au fond et aux circonstances principales ; mais le talent des orateurs, qui faisait le principal mérite de la séance, était inépuisable.
Ce prestige lui valut de nombreux imitateurs ; outre Les Trinosophes cénomans, on peut citer les Trinosophes Neustriens à Caen (fondée en 1825, elle se mit en sommeil en 1832 ; elle reprit ses activités en 1849 mais s'éteignit définitivement en 1851), les Trinosophes de Bercy (fondée en 1846), qui fit parler d'elle en 1870, et (ci-contre) les Trinosophes Africains à Mostaganem, qui s'est, à la fin du XIXe siècle, distinguée par son antisémitisme ; il y eut aussi un essai de création des Trinosophes Guyanais en 1834. |
Voir ici sur une Tenue des Trinosophes en 1819.
On appréciera par contre à sa juste valeur la charge hargneuse du polémiste antimaçonnique Amand Neut aux pp. 173-4 de son ouvrage publié en 1866, La franc-maçonnerie soumise au grand jour de la publicité à l'aide de documents authentiques.
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à gauche : Timbre du Chapitre des Trinosophes cénomans, visible en tête de la biographie de Pesche figurant aux pp. 33-111 du recueil 1921-2 du Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe. |
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ci-contre à droite : Nicolas Des Etangs (1766-1847), écrivain maçonnique fécond, fut 19 fois Vénérable des Trinosophes. |
Ce sont les Trinosophes qui ont en 1844 initié Heine (ci-contre), auquel ses origines juives interdisaient l'accès à la maçonnerie dans son propre pays. |
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Ci-dessous : en-tête d'une convocation de 1834.
A. Germain (Vénérable de la Loge ébroïcienne la Sincérité de l'Eure) a publié en 1874 le fascicule Initiation de Voltaire, qui a été réédité en fac-similé en 1997 par l'éditeur Christian Lacour-Ollé, aux éditions Lacour/Rediviva (cet éditeur a un catalogue extrêmement riche de textes anciens, tant maçonniques que régionalistes) et qui est également disponible sur Gallica. Outre une reconstitution (évidemment fictive) en alexandrins d'un dialogue (complété par les conclusions de l'Orateur, la Dixmerie) entre le Vénérable Lalande et l'impétrant Voltaire au cours de la cérémonie d'initiation de ce dernier aux Neuf Soeurs et une chanson reproduite sur ce site, ce fascicule contient une notice sur Voltaire, les Neuf-Soeurs, les Trinosophes, accompagnée de notes explicatives sur les faits et les personnages. Nous extrayons de cette notice les éléments suivant sur les Trinosophes :
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