MIDI - MINUIT

Cantique de l'Etoile Flamboyante

 

C'est en 1766 que Tschoudy publia à Paris son oeuvre maîtresse, l'Etoile Flamboyante, qui connut un énorme succès, et eut même un traduction en allemand.

Le Tome I et le Tome II de l'Etoile Flamboyante sont téléchargeables sur le site de la BNF.

Nous avons trouvé ce cantique dans le Tome 2 de l'Etoile Flamboyante (1766), où il est inséré (pp. 135-8) dans un Discours pour une loge de table, prononcé par le F. T., à la Saint Jean d'hiver 1764, et précédé du texte suivant :

Un peu de trêve au sérieux de la morale y ramène avec plus de plaisir : celui que l'ordre permet, & qui d'ordinaire succède à nos travaux, m'autorise à prendre pour texte du discours que le vénérable maître m'ordonne de faire à ce banquet, un cantique qui me paraît exprimer assez bien le genre de nos amusements, & dont la nouveauté pourra vous plaire. L'indulgence est la vertu favorite des Maçons, & le talent d'un frère, quelque faible qu'il soit, a des droits sûrs à cet égard.

Tschoudy ne donne malheureusement aucune indication sur l'air utilisé. On peut se demander s'il pourrait s'agir par exemple de la Marche des Deux Avares, ou d'un air Il est minuit qui selon certaines sources serait de Naderman.

 cantique 

Par nos chants, célébrons, mes Freres,
L'aménité de nos mystères,
Il est midi.   bis
Si le profane nous écoute,
D'abord pour le mettre en déroute,
Qu'il soit minuit,           
Qu'il soit minuit,  
refrein.

Lorsque pour les travaux du temple,
Un coup de maillet nous rassemble,
Il est midi :
Un seul mot chez nous en usage,
Indique la fin de l'ouvrage :
Il est minuit,
Il est minuit.

Notre origine est respectable,
Ne la chargeons d'aucune fable,
C'est une nuit ;
La raison murmure et s'afflige,
Lorsqu'on masque, par le prestige,
Le jour qui luit,
Le jour qui luit.

            

  La vertu n'est point un problème,
N'y jetons par aucun emblème
La moindre nuit :
Tout homme a droit de la connoître.
Le Maçon seul la fait paroitre
En plein midi,
En plein midi.

Servir son roi, chérir son frère,
Profanes, sans ce caractère,
Il est minuit :
Joignez-y pour l'Etre suprême,
Le culte d'un coeur qui l'aime,
Il est midi,
Il est midi.

Amitié, charme de la vie,
Ailleurs serois-tu mieux servie
Qu'en ce réduit ?
Des titres la froide chimere
Ici le cede au nom de frere,
Qui nous unit,
Qui nous unit.

Secourons-les, ce terme est vaste,
Mais pour le bien faire & sans faste,
Qu'il soit minuit : 

      

Un bienfait pur veut du silence,
Le cri de la reconnoissance,
Sonne midi,
Sonne midi.

Entre nous si quelqu'un fait brèche,
Aux bonnes moeurs, qu'on se dépêche
De faire nuit :
Toujours à la vertu sublime,
Aux traits qui sont dignes d'estime,
Qu'il soit midi,
Qu'il soit midi.

Beau sexe qu'une loi sévere,
Ecarte de ce sanctuaire,
Il est minuit :
Le temps viendra pour votre éloge,
A notre coeur, c'est votre horloge,
Il est midi,
Il est midi.

 Amour, ton flambeau se renverse,
Dans la liqueur que Bacchus verse
En plein midi :
Bientôt par les soins de Morphée,
Ta gloire sera décidée,
Mais à minuit,
Mais à minuit.

      

Seconde-moi, charmante troupe,
Et ne quittons plus notre coupe,
Jusqu'à minuit.
Des noeuds d'un tissu agréable,
Doivent se resserrer à table,
Il est midi,
Il est midi. 

Après cet intermède musical, l'orateur reprend sa harangue, où il le commente ainsi avant de le paraphraser en détail:

... en vous rappelant la chanson dont votre gaieté décente a avec complaisance répété les refrains, je n'ai pas prétendu par ce médiocre essai lyrique vous donner une idée juste des charmes de la poésie, ni de l'habileté de l'auteur ; mais affectés, comme vous l'êtes peut-être, de l'adresse avec laquelle il a su, sous l'écorce & la frivole enveloppe du badinage, réunir en un seul point, malgré quelques négligences de style, le tableau exact de nos devoirs, j'ai cru pouvoir m'étayer des images qu'il présente, pour retracer nos obligations avec le ton de l'amusement, que la paraphrase légère de chaque couplet n'altérera pas, suivant toute apparence ...

Ce texte a été repris, sous le titre Aménité de l'Ordre, aux pp. 535 à 540 (qui sont les dernières du recueil) du chansonnier de Holtrop (Amsterdam 1806) Gezangboek voor Vrijmetselaaren (Chansonnier pour francs-maçons). Ici non plus, il n'y a pas d'indication d'air.

On le retrouve (mais sans mention d'auteur, ni plus d'indication d'air) dans un chansonnier imprimé au Mans en 1865 (pp. 35-8). Ici, on trouve même en épigraphe la phrase de Tschoudy, L'indulgence est la vertu favorite des Maçons, et le talent d'un frère, quelque faible qu'il soit a des droits sûrs à cet égard. Par ailleurs, le vers Servir son roi, chérir son frère y devient - sans respect pour la métrique - Servir son pays, chérir son frère. Remplacer, comme il aurait été logique sous le second Empire, son roi par l'empereur plutôt que par son pays a-t-il été jugé inopportun ?

 

TSCHOUDY

Maçon très actif, Louis, Théodore, Henri, baron de Tschoudy (1727-1769) est une de ces personnalités du XVIIIe siècle qui menèrent une vie si pleine de voyages, d'aventures et de rebondissements qu'on les imagine volontiers en personnages de roman ou même en héros d'Alexandre Dumas.

Il naît en 1727 (certains disent 1720 ou 1724) à Metz, dans une famille en vue qui est d'origine suisse. C'est en Lorraine qu'il fait ses études de droit. A 21 ans il est Conseiller au Parlement de Metz.

Très tôt, il est attiré par la maçonnerie et par ses arcanes; il devient membre et très rapidement le Vénérable d'une Loge à Metz.

En 1750 il part en Italie, où il est sert comme cadet dans le Régiment suisse de son oncle, le Maréchal Léonard de Tschoudy. A Naples, il devient le Vénérable d'une des Loges dont le Grand Maître est Raimondo di Sangro, grand amateur de sciences occultes.

Mais en 1751, un événement va venir bouleverser ses plans de carrière. La papauté avait déjà condamné la maçonnerie en 1738, avec la bulle in Eminenti de Clément XII. Pape de 1740 à sa mort, Benoît XIV (1675-1758) avait été archevêque de Bologne sous son nom de Prosper Lambertini, et à cette époque il passait pour bien disposé envers la maçonnerie, d'aucuns prétendant même qu'il en était membre. Mais en 1751, par sa bulle Providas, il réitère la condamnation fulminée par Clément XII, tout en faisant appel à l'Inquisition et à toutes autres autorités en vue de grièvement punir les récalcitrants.

Prudent, di Sangro obtempère et abjure la maçonnerie. Mais Tschoudy, lui, ne l'entend pas de cette oreille : il se découvre une âme de polémiste et, sous le pseudonyme de Chevalier du Lussy, prend une plume vengeresse. Bientôt découvert, il est emprisonné à Naples, mais son oncle le fait évader nuitamment.

Plutôt que de rejoindre sa famille à Metz (craindrait-il d'être mal accueilli ?), il gagne la Hollande, où il devient acteur de théâtre et poursuit ses activités maçonniques, et ensuite Saint-Petersbourg.

C'est sous le nom de Lussy qu'il a publié à la Haye en 1752 ses écrits contre la Bulle ainsi qu'un Recueil de nouvelles chansons sur la maçonnerie intitulé La Muse maçonne.

Mais c'est à Paris qu'il a publié en 1766 son oeuvre maîtresse, l'Etoile Flamboyante

Tschoudy vu par Bésuchet

Tschoudy est mentionné comme suit par Bésuchet (p. 275) :

TSCHOUDY (le baron Théodore-Henri de), généralement nommé Tschudy, conseiller au parlement de Metz, fils d'un conseiller chevalier d'honneur au même parlement, naquit en 1720, d'une famille originaire du canton de Glaris, en Suisse, mais établie en France au commencement du seizième siècle. Le baron de Tschoudy, comme membre de cour souveraine (il était conseiller à ce parlement), fut obligé de solliciter du roi la permission de voyager. L'ayant obtenue il se rendit, sous le nom de chevalier de Lussy, en Italie, où il éprouva d'assez vives persécutions pour avoir publié sous le titre du Vatican vengé (la Haye, 1752, in-8°), une apologie des francs-maçons contre la bulle de Benoit XIV. Sa passion pour les voyages le conduisit en Russie, où, bientôt dénué de toutes ressources pécuniaires, il fut obligé de s'engager dans la troupe de comédiens entretenus par l'impératrice Élisabeth. Le favori de cette princesse, Ivan Schouvalow, charmé peut-être moins du talent de l'auteur improvisé que de la facilité qu'il avait de parler plusieurs langues, lui fit obtenir la place de secrétaire de l'académie de Moscou, et se l'attacha en qualité de secrétaire particulier, sous le nom de comte de Putelange.

Le secrétaire de l'académie et du comte de Schouvalow publia, en 1755, le journal ou recueil français le Caméléon littéraire, dont il parut douze numéros. L'impératrice Elisabeth, charmée de l'esprit, des manières distinguées et de la jeunesse du baron de Tschoudy, chevalier de Lussy ou comte de Putelange, le nomma gouverneur de ses pages.

Cette faveur toute particulière attira au nouveau protégé de l'impératrice des ennemis puissants. Favori à son tour, et sujet d'un prince étranger, il fut obligé de quitter la Russie, et, de retour en France, il apprit que ses persécuteurs y avaient de l'influence. Arrivé à Paris il fut mis à la Bastille par ordre du gouvernement. Sa mère implora la protection d'Elisabeth et celle du grand duc (depuis l'empereur Pierre III).

Bien que ce prince n'aimât pas le baron de Tschoudy, il ne put résister aux instances de l'impératrice Elisabeth, et il écrivit à madame de Tschoudy, mère du captif, que ce fils chéri (ce sont les propres expressions du grand duc) lui serait bientôt rendu.

Libre, le baron de Tschoudy retourna à Metz, où il ne parut s'occuper que de la franc-maçonnerie. Il revient à Paris, en 1766, dans l'intention d'y réformer les hauts grades et d'y introduire des grades nouveaux. Sous ce rapport il a fait beaucoup de mal à la simplicité et à l'unité du système maçonnique. Partisan de la doctrine de Ramsay, il fait remonter l'origine de l'ordre à Godefroy de Bouillon, c'est-à-dire à l'époque des croisades, opinion que l'abbé Robin a aussi partagée.

Cette année même il publia l'Étoile flamboyante, ou la Société des francs-maçons considérée sous tous les aspects, Francfort et Paris, 2 vol. in-12, 1766, souvent réimprimé format in-18, en société avec Bardou-Duhamel, fils de l'auteur du Traité de la manière de lire les auteurs avec utilité. La même année encore il s'attacha au Conseil des Chevaliers d'Orient, fraction du Conseil des empereurs d'Orient et d'Occident, souverains princes maçons, dont un tailleur d'habits, le frère Pirlet, s'était séparé pour créer le nouveau conseil. Le baron de Tschoudy profita habilement de l'inexplicable hardiesse du schismatique Pirlet, pour mettre à exécution son plan de réforme et sa création de quelques grades de haute maçonnerie.

Peu avant sa mort, arrivée en 1769, il légua au Conseil des chevaliers d'Orient, ses manuscrits, entre autres celui du grade écossais de Saint-André, qui entre dans la nomenclature des trente-trois grades du rite écossais ancien et accepté, sous la condition de ne pas le faire imprimer. Le conseil ne tint aucun compte de la volonté du baron de Tschoudy, et rendit ce grade public (1780, in-8°).

L'Étoile flamboyante, que l'on peut regarder comme le propre ouvrage de son célèbre auteur dans ce qu'il y a de plus remarquable, offre une lecture intéressante : il y discute avec finesse, et plus souvent avec causticité les opinions de ses prédécesseurs sur l'origine de notre institution ; mais il manque le but dont il a écarté ses rivaux en adoptant l'opinion toute systématique de Ramsay. On lira donc avec fruit l'ouvrage du baron de Tschoudy, si l'on s'arrête à propos dans l'adoption des opinions de l'un de nos frères les plus distingués. Le baron de Tschoudy mourut le 28 mai 1769. On lui attribue quelques romans, entre autres celui de Thérèse philosophe.

Léo Taxil reproduit (avec quelques légères différences) le texte de ce cantique dans ses Révélations complètes sur la Franc-Maçonnerie, au volume Le culte du Grand Architecte (pp. 119-121).

A propos de l'Etoile Flamboyante

L’Étoile Flamboyante comprend 2 volumes, accessibles sur le site de la BNF : le premier (257 pp.) ici, le second (252 pp.) ici. C'est à la numérotation des pages de ces éditions que je me référerai dans la suite. Un PDF d'une édition plus compacte, comprenant les 2 volumes, ramassés en 246 pages, se trouve ici ; il présente l'avantage d'incorporer une version texte.

Dans le premier volume, Tschoudy expose, sur un certain nombre de questions maçonniques, des points de vue très tranchés, avant d'émettre en conclusion (pp. 236 ss.) un très utopique projet de réforme de la maçonnerie.

Le second volume est composé principalement de quelques discours prononcés en Loge, dont au moins une partie sont sans doute de sa propre plume, avant de passer à la pièce maîtresse de tout l'ouvrage, qui est la présentation de la Société des Philosophes  inconnus.

On y trouve trace de ses voyages, notamment, p. 36, ce Discours prononcé à la réception de plusieurs Apprentis à la loge du Prince de S. S. à Naples en 1745 (NDLR : cette date ne peut être exacte, puisque le prince de San Severo n'était devenu maçon qu'en 1750) ou (p. 41) ce Discours prononcé à la loge S. T. à Pétersbourg en 1760.

On trouve de tout dans l’Étoile Flamboyante : des réflexions intéressantes, parfois novatrices, et d'autres d'une imagination délirante ou d'une grande naïveté, telle cette page (258) qui conclut le premier volume comme pour le couronner, et où l'auteur s'extasie, comme si c'était un sommet de la connaissance initiatique, sur une propriété arithmétique qui nous semble du niveau de l'école primaire mais que le maçon lambda du XVIIIe considérait peut-être comme une arcane hautement ésotérique :

On a beau dire que le XVIIIe siècle est celui des Lumières et de la Raison triomphante, c'est tout autant le siècle de tous les illuminismes, celui où des charlatans tels que Cagliostro, Mesmer ou le comte de Saint-Germain tiennent le haut du pavé dans la bonne société, et particulièrement dans les Loges les plus en vue. Comme l'écrit (t. 2, p. 58) Tschoudy pour expliquer qu'un vain désir de curiosité nous a souvent amené bien des recrues :

L’espoir de rencontrer des choses surnaturelles ou merveilleuses est l’aiguillon d’un esprit faux et inconséquent.

Mais relevons maintenant quelques aspects caractéristiques de la pensée de Tschoudy.

1. L'égalité

Tschoudy a des mots très convaincants pour évoquer l'égalité des maçons en Loge. Par exemple :

(T. 1, p. 183)  l'égalité parfaite est la base de leur union ; tout disparaît en loge, l'homme y quitte les livrées de l'orgueil, les distinctions du hasard, les parures de la fortune ...

(T. 1, p. 209) ART. IV. (NDLR : des Statuts généraux et anciens) Rien n'étant plus selon la nature que de remettre les hommes dans cette égalité pour laquelle ils sont nés, on ne souffrira en loge aucune prééminence, distinction, honneur marqué, égard de rang, de naissance ou d'état, qui sont des prétentions odieuses à tel point que si l'on voyait quelqu'un s'en prévaloir, le vénérable doit affecter de l'humilier en lui assignant la dernière place, & l'occupant aux emplois les plus bas, pour le service des frères.

(T. 2, p. 31) … cette égalité si parfaitement établie, qui nous met tous au même niveau, qui dissipe le prestige des rangs, qui détruit les jeux du hasard, et qui nous ramène sans dégoût et sans difficulté à la simple qualité d’homme, la seule précieuse, et souvent trop négligée.

(T. 2, p. 45) il ne faut pas perdre de vue que les hommes pétris du même limon, sont tous égaux : notre science développe plus particulièrement cet axiome raisonnable, il est général, et les corollaires qui en résultent, s'appliquent même hors de la loge au soulagement du prochain. Les faveurs de la fortune, les présents du hasard, les distinctions du sort, n'altèrent pas le niveau qui subsiste parmi nous ; et remarquez, je vous prie, cette sagesse singulière de notre institution, qui en nous réduisant tous à un taux égal, ne permet de nous faire valoir que par plus de vertus, ou de mérite réel.

2. Inégalité ?

L'égalité, c'est un bel idéal ... Mais la maçonnerie du XVIIIe, si elle la proclame avec des accents aussi lyriques, ne la pratique qu'avec des correctifs. Elle la réserve strictement à ce qui se passe à l'intérieur de la Loge, puisqu'à l'extérieur les honneurs de rang, de naissance ou d'état cessent d'être des prétentions odieuses pour redevenir de strictes obligations auxquelles il ne saurait être question d'échapper.

(t. 2, p. 50) Ne pensez pas ... que nous ignorions les égards qu'un sang illustre détermine en général dans la société ou que rebelles aux usages reçus, les Maçons s’écartent jamais de la légitime portion de déférence due à ceux qui ... portent un nom respectable et respecté ... il est sans exemple que hors de la loge, un Maçon abusant du ton familier qui règne dans nos assemblées, ait perdu de vue ce qu'il se doit à lui-même dans la personne des autres.

Plus subtilement, la pratique de l'égalité n'est supportable que dans certaines limites, et Tschoudy en arrive même à justifier, par des mots très durs et très méprisants, le principe d'une sélectivité sociale dans le recrutement (et chacun sait qu'en pratique il y avait des loges aristocratiques et d'autres plus populaires) :

(T. 1, p. 184) Cette extrême égalité trop généralement adoptée comme principe, voulait encore certaines précautions ; sans applaudir à la perversité, il faut respecter les convenances d'usage, & lorsque le décrotteur m'embrasse, partage ma soupe & ma chaise, j'ai peine à oublier qu'une heure avant il était à mes pieds, que dans une heure il y sera peut être encore, si la boue m'y force, si ma bourse l'y décide : ce tableau est mal à droit, un peintre habile ménage mieux ses teintes : il faut une dégradation insensible, un ton de couleur, il faut qu'elle soient mieux fondues ; ceci tranche trop : la nature me montre les hommes égaux ; mais n'est ce pas les âmes qu'il faut appareiller ? Peuvent-elles l'être quand les distances d'état sont si fortes ? Tel que je viens d'appeler mon frère dans une courte enceinte, où personne n'a dû critiquer cette familiarité, me fera rougir à quatre pas de la loge s'il me salue d'un air de connaissance ; cela n'est pas proposable, & je suis persuadé que cet inconvénient a fait retirer la plus grande partie des gens d'une certaine étoffe de ce chaos fraternel, où tout le monde est absolument confondu. J'aurai plus d'une fois occasion de me récrier contre l'indécence de ce mélange : l'idée du niveau présente à l'abord une allégorie flatteuse, les petits sont comblés de voir disparaître l'espace qui les éloignait de leurs supérieurs, ceux-ci sont forcés de renoncer à leur marque, à l'inhumaine habitude de faire sentir le poids du crédit & de l'autorité ; mais au détail les conséquences sont fâcheuses, une âme vile s'apprivoise trop aisément, & pense d'autrui d'après son cœur ; ainsi l'homme respectable dont la naissance, l'état & les sentiments garantissent les vues n'ose presque plus risquer de faire une belle action, sans être soupçonné du motif, dont la canaille qui le juge serait capable. La maçonnerie réduite à la classe la plus vile d'entre les citoyens ou devenue au moins la récréation banale du porte-faix comme du gentilhomme, s'avilit tous les jours, passe pour un pays où tout est à peu près peuple, où l'on s'honore d'un défi à coups de poings ; mais ailleurs, comment concevoir que tel qui de sa vie n'a dû bâtir que des baraques, faire un ragoût, un habit, une perruque, songe à reconstruire le temple de Salomon, & puisse y être propre ? Il faut des hommes pour porter l'oiseau ; sans doute ; mais en ce cas, distinguons donc les vrais architectes ; qu'une classe supérieure, fidèle à son institut, reste sévère sur le choix des sujets, que cette analogie plus sublime, plus directe, plus conséquente au vrai but des Maçons, devienne exclusivement le taux des personnes honnêtes, je ne dis pas précisément pour les mœurs ; ce point est absolu, mais honnêtes dans toute l'étendue du terme, pour le genre, la qualité, l'état, & que dans ces sortes de loges on assortisse les êtres si l'on veut réellement rapprocher les esprits & lier les cœurs.

Voilà donc finalement justifiée en maçonnerie, en dépit des principes proclamés, l'existence d'une classe supérieure et la nécessité d'épurer l'Ordre des éléments qui n'y ont pas leur place, en sorte qu'il ne soit plus

(T. 1, p. 249) prostitué par un tas de gens de la lie du peuple, qui ne sont pas nés pour penser, encore moins pour être jamais les appuis d'une institution utile.

Par ailleurs, même à l'intérieur de la Loge, les privilèges de rang sont loin de disparaître :

(T. 1, p. 202) Avant de recevoir un apprenti au compagnonnage il faudra envisager si l'on veut & croit pouvoir le faire passer par après à la maîtrise, & si on l'en juge digne parce que s'il est d'un certain rang, il faut ne le laisser compagnon que le temps nécessaire pour l'instruire, & relever à la maîtrise le plutôt possible. (il s'agit de l'art. 6 des statuts généraux et anciens).

3. Quelques sentences pleines de bon sens

(T. 2, p. 40) Nous ne venons point en loge pour nous remercier de ce que nous sommes vertueux, mais pour nous exciter à le devenir encore davantage.

(T. 2, p. 124) L'objet le plus digne d'un ordre quelconque est de faire des heureux

(T. 2, p. 66) On n'avait peut-être jamais imaginé de pérorer sur le grade de compagnon, parce que par un abus criant on le confère en même jour après l'apprentissage (NDLR : c'était effectivement l'usage au XVIIIe), et que le candidat, encore ébloui des premières cérémonies, n'y aperçoit point d'accroissement de lumières.

(T. 2, p. 67) je crois que l'étude d'un vénérable devrait toujours être d'amuser l'esprit, et de nourrir le cœur par d'ingénieuses applications ; mais il faudrait un peu de choix dans les chefs ; ceux qui ne voient rien au delà des grimaces pectorales, gutturales ou pédestres, sont proprement des automates qui prêchent à des machines.

(T. 2, p. 129) Nous savons à merveille, qu'en attaquant la réputation ou les ridicules d’un tiers on est presque sûr d'être applaudi, et toujours écouté.

 (T. 1, p. 115) Les assemblées des Maçons sont presque toujours terminées par des repas ... les Maçons savent, ainsi que tous les autres hommes, que rien ne lie comme l’agrément de la table : il est heureux qu’un besoin ait pu devenir un plaisir ; le premier humilie toujours, l’autre récrée, et quand il est décent, c’est le plus honnête et le plus délicat de tous ; c’est l’instant où l’esprit, le cœur et l’âme sont le plus communicatives, où les caractères se développent le mieux, où la gêne cesse, où la liberté règne, où tous les états se rapprochent, parce que c’est une sujétion et une jouissance pareille pour tous.

4. sur les origines de la franc-maçonnerie

Tschoudy a le mérite de ne pas vouloir couper dans les légendes répandues à son époque sur les origines de l'Ordre.

(T. 1, pp. 1-3) Qu'un charlatan sans principe et sans pudeur, ait assez mauvaise opinion de ceux à qui il s'adresse pour leur proposer des absurdités insoutenables, du ton d'un homme inspiré, que dans ces discours d'éloges destinés à la persuasion de l'esprit, à la réforme du cœur, il ait l'effronterie de donner du poids à ses assertions, de présenter l'art des Maçons comme une science éternelle et nécessairement telle, qu'en peut-il résulter ? ... La vanité établit pour maxime que plus on date de loin, plus on prouve de grandeur et de mérite.

Et dans cet esprit, il est assez impitoyable pour raconter l'invention du grade de Maître :

(T. 1, pp. 13-15)  Parcourons leur liste [ndlr : la liste des souverains d'Israël] ; cherchons-en un fameux, bien conquérant, bien sage, bien magnifique, bien puissant. Le voici, Salomon, précisément l'ami de Dieu, l'oint du Seigneur, le modèle des rois, tant il est juste. Que fait-il  ? ... Il embellit le siège de son empire et bâtit un temple dont on dit qu'il sera très beau : ah  ! c'est mon homme, voilà mon époque : on ne bâtit pas sans ouvriers, les Maçons qui ont travaillé à cet édifice célèbre, quoique le bel esprit du siècle assure et prouve que c'était au plus une chapelle informe, ces ouvriers ont dû, eux-mêmes, acquérir de la célébrité et la laisser en héritage à leurs enfants et ceux-ci à d'autres, jusqu'à nous ; cela est plausible : formons-en un corps de gens habiles et fameux, donnons-leur des modes, des règles, des usages, des habits, des attributs. Ouvrons les écrits de ce temps-là : les dimensions de l'édifice y sont tout au long, rappelons-les, joignons-y quelques noms, de colonne ou d'ouvrage, ou d'ouvrier. Donnons un coup de pouce, supposons quelque événement, la mort d'un chef par exemple ; classons tous ces gens-là, parce qu'il est évident que celui qui exécute n'en sait pas autant que celui qui ordonne ; plaçons sur le tout un vernis de piété, un air d'onction, un ton d'autorité ; parlons haut, crions fort, citons, et utilisons beaucoup de mots étrangers ; aidons-nous de langages inconnus, qu'une apparence mystérieuse en impose aux plus raisonnables, étonne les sots, surprenne, embarrasse, embrouille : dogmatisons et disons hardiment que la société des Francs-Maçons prend sa source à la construction du temple de Salomon, lors de laquelle tous les matériaux étaient tellement préparés, que l'on n'entendit aucun coup d'instrument de fer ; devine qui voudra le sens de cette réponse : les énigmes sont les armes des fourbes et l'appât des simples : lesquels sont les moins nombreux ?

Mais il ne se fie pas plus à ce qu'il appelle l'opinion moderne que l'on débite en loge à ce sujet (NDLR : c'est celle vulgarisée par Ramsay), et qu'il décide de reproduire mot à mot :

(T. 1, pp. 24-6) "Auteurs des premières croisades, plusieurs chevaliers s'étant ligués sous la conduite du pieux roi qui les conduisait, pour conquérir sur les Sarrasins la Palestine et les lieux saints, formèrent une association sous le nom de Maçons libres, désignant ainsi, que leur vœu principal était la reconstruction du temple de Salomon. Dès lors ils adoptèrent pour marques caractéristiques, tout ce qui pouvait se rapporter à ce vaste édifice : équerre, niveau, compas, truelle devinrent leurs attributs, un tablier leur habit, liberté leur devise, secret leur principal devoir. Résolus de faire un corps à part dans la foule des croisés, et de se garantir particulièrement de toute surprise du côté des Sarrasins et de leurs ennemis, ils imaginèrent des mots de ralliement entre eux, des attouchements pour se reconnaître, des signes pour se distinguer à une très grande distance : ces signes, ces mots, ces attouchements furent accordés comme la marque caractéristique de Maçons croisés et seulement à ceux qui auraient courageusement soutenu les épreuves du noviciat et de l'initiation" (empruntant par conséquent aux Égyptiens, aux Grecs, aux Romains-mêmes, bien plus qu'au peuple Juif, l'usage des inaugurations symboliques dont la liturgie et le costume fut rédigé toujours dans l'analogie des ouvrages du temple et des ouvriers) : notre société qui n'ajoutait à l'objet commun de tous les croisés qu'un point de vue plus direct à la réparation des ruines de Jérusalem, un lieu plus étroit pour les y dévouer davantage, prit dès ce temps une consistance solide et fraternisa déjà sur le pied d'un ordre avec les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, lesquels il est apparent que les Francs-Maçons empruntèrent l'usage de regarder saint Jean comme le patron de tout l'ordre en général. Le succès des croisades n'ayant pas répondu au désir des croisés, ils se dispersèrent, et chacun d'eux regagna son pays, sous les étendards des chefs, princes ou souverains auxquels ils étaient attachés, mais les Maçons gardèrent leurs rites et leurs méthodes et perpétuèrent de cette façon les mystères de l'art royal, en établissant d'abord des loges en Écosse, ensuite en Angleterre, où nos frères ont joui de privilèges considérables sous plusieurs règnes, ainsi qu'en font foi les chartes des parlements et c'est de là que la maçonnerie est passée en France et maintenue jusqu'à ce jour dans toute sa pureté."

Telle est en substance, écrit Tschoudy après cette citation, l'histoire que les maîtres de loge les mieux instruits, les moins partisans du merveilleux, racontent avec emphase au récipiendaire le jour de son admission.

Mais s'il déconsidère ces légendes, ce n'est que pour leur en substituer une autre de son cru mais du même tonneau, celle d'un Ordre antérieur aux croisades, les chevaliers de l'Aurore & de la Palestine ou plus simplement chevaliers de la Palestine, qui sont donc à ses yeux (p. 39) les premiers et les vrais Maçons et qu'il conviendrait donc de ranimer.

5. sur le serment

Tschoudy est un des premiers à mettre en cause la notion de serment en maçonnerie :

(T. 1, pp. 110-111) Le serment ! pardon, mes frères, j’employais une expression profane dont je me rétracte. Ce nom qui porte avec lui l’idée d’une promesse religieuse ou juridique, est le motif d’un reproche tr ès grave que le public a fait de tous temps aux Francs-Maçons : c’est, dit-on, un attentat à l’autorité ecclésiastique et civile. On ne doit jurer que sur des vérité s palpables et reçues, on ne peut jurer qu’entre les mains des dépositaires de la force légale ou spirituelle ... c’est mal à propos que l’on qualifie une simple obligation, terme qui ne choquerait personne, du nom de serment qui révolte bien du monde. Le premier lien des hommes est l’honneur, la promesse qu’un candidat fait en loge n’a pas d’autre garant, comme le manquement à cette promesse ne peut point avoir d’autre peine.

6. Sur l'extériorisation

Débat presque aussi vieux que la maçonnerie, et qui agite encore bien des Obédiences. L'opinion de Tschoudy est très tranchée :

(T. 1, pp. 216-7) Il est peu de sociétés dont les maximes paraissent plus exactement conformes aux vertus essentielles, qui peuvent décorer l’humanité et faire son bonheur. Cette divulgation que je me suis cru permise en faveur de mes frères, pour déprévenir sur leur compte, pour leur acquérir des partisans et des apologistes fait bien effectivement l’éloge de la maçonnerie : que n’est-ce aussi celui de tous les Maçons ? Je ne conçois pas quel intérêt ils croient avoir à cacher avec tant de soin, des choses qui ne peuvent que les honorer ; ce raffinement mystérieux a l’air d’un enfantillage, et quand à toute cette discrétion on ne gagne que des soupçons injurieux, des combinaisons flétrissantes, je ne vois point que le fade plaisir d’inquiéter les autres, vaille la bonne opinion que l’on y perd.

7. la lettre G

Plus d'un auteur francophone a ironisé sur les multiples significations (Géométrie, Gnose, Génération, ...) que certains rituels octroient à la lettre G, en  faisant remarquer qu'elles n'ont aucun caractère universel puisqu'elles n'ont de justification que dans la langue française (il faut même recourir à l'anglais pour y voir le nom de Dieu).

Tschoudy, qui ne reconnaît dans le G que la géométrie, semble partager ce scepticisme, en écrivant (T.1, p. 121) :

Fameuse lettre G, dont je vois la sombre empreinte occuper continuellement le milieu de l’astre à cinq pointes qui brille dans le temple des Maçons, et dont la clarté factice éclaire quelquefois leurs travaux, comment êtes-vous l’index de leurs froids emblèmes ? L’alphabet qu’ils se sont fait tient à la bizarrerie de l’esprit, et n’exprime aucune vérité : c’est un caractère mystique semblable au caméléon, qui prend d’un instant à l’autre les couleurs que l’on lui montre, et que l’on veut qu’il autorise mais tous les G possibles combinés de cent façons différentes, ne peuvent réaliser des fables, légitimer des assertions, asseoir des droits chimériques et des systèmes erronés.

8. Les Hauts Grades

Tschoudy se livre (T. 1, pp. 125-131) à une charge sévère contre la multiplication des Hauts Grades :

C’est à l’ambition, à ce vice cruel, l’arme du fort, l’oppresseur du faible, qu’il faut attribuer sans balancer tous les excès qui se commettent … et nommément l’abus qui s’est glissé dans la Maçonnerie, par la multiplicité des grades, dont l’invention moderne est l’effet de la prétention et de l’envie de dominer.

Quelle que soit l’origine de ce petit corps, auquel on a fait l’honneur de supposer des vues très profondes, très étendues, et que plusieurs personnes ont même cru capables de viser au grand projet d’une république universelle (NDLR : allusion à Ramsay ?), système pitoyable, mais étayé de tout ce que l’esprit d’anarchie offre de plus méthodique, de plus séduisant …

… à quoi ressemble la progression immense des grades qui en sont dérivés ? Il est des bornes à tout, hors aux caprices de l’esprit humain, illimité dans ses combinaisons comme dans ses désirs ; chaque moyen qui lui semblera propre à étendre son domaine ou grossir les tributs qu’il impose sur les dupes, sera la charpente d’un nouveau degré de science, pour hausser de plus en plus le trône de la folie ; cette filière indécente n’aura point de fin. Qu’est-ce au fond qu’un grade, nuement considéré dans la véritable signification du mot, et relativement à tous les états de la vie ? N’est-ce pas la mesure arbitraire que l’autorité a circonscrite pour déterminer le mérite fictif de chaque individu, sans que la persuasion du contraire ose réclamer contre les entraves qu’on lui impose, ni même manquer aux déférences que ce tarif despotique exige et assigne ? Toute condition éprouve cette graduation merveilleuse qui différencie les hommes même, lorsqu’ils se ressemblent, et donne souvent à l’automate le droit injuste, non pas de mieux valoir, mais d’être plus remarqué que l’homme sensé, honnête et vertueux. …

… que deviendront alors toutes ces magnifiques prétentions, ces dignités éminentes, sujet d’émulation pour les zélés, occasion de frais pour les dupes, ressource abondante et lucrative pour ceux qui trafiquent à leur profit de prétendues lumières du soi disant ordre ? Petit élu, élu de quinze, élu de neuf, élu de l’inconnu, élu de Pérignan, maître parfait, illustre maître symbolique, maître par curiosité, (tous doivent avoir ce grade) maître illustre Irlandais, prévôt, juge, maître Anglais, Écossais de Montpellier, Écossais de Clermont, Écossais des petits appartements, apprenti, compagnon, maître Écossais, Écossais des trois J, Écossais trinaire, Écossais de Jacques VI, grand maître, et qui annonce bien le pays d’où il est parvenu jusqu’en France : ensuite vénérable maître de loge, chevalier d’orient, (ô celui-là et le grand inspecteur méritent presque une section à part) chevalier d’occident, chevalier du soleil, chevalier de la gerbe d’or, chevalier de l’aigle, chevalier du nord, du pélican, de l’étoile, Noachite souverain Maçon d’Héredon, prince de rose-croix, royal arche, grand initié aux mystères, souverain commandant du temple, sublime philosophe, phénix, et pour complément, chevalier Kadosh ou K. S. grand élu, et tant d’autres dont les noms m’échappent. D’où nous vient cette marchandise, et par quelle fatalité une aussi mauvaise drogue a-t-elle acquis un si prodigieux débit ?

Mais cette critique n'a finalement qu'un but : c'est (T. 1, pp. 131-3) de faire la publicité des deux grades vrais ... qui contiennent ... le secret, le but et l’essence de la Maçonnerie, à savoir l’écossisme de saint André d’Écosse et le Chevalier de la Palestine.

Mais ce n'est pas tout, car en plus :

Un juste égard pour des spéculations raisonnables, et qui font honneur à l’esprit, m’empêche également de confondre dans la foule des rêveries Maçonnes, une partie désignée sous le nom des Adeptes. Ce genre de philosophie, qui occupe sérieusement beaucoup de Maçons studieux, a pu leur paraître en effet un des buts de leur association. Ce n’est pas le point de vue le moins probable ; et qu’il réussisse ou non, des recherches auxquelles il conduit, il résultera toujours quelque bien, quelque découverte avantageuse pour l’humanité. Je compte en donner une idée complète par l’exposition du grade, tel qu’il est conçu et rédigé par ceux qui s’y appliquent. Par ce détail, qui sera précisément un traité d’alchimie, je pourrai peut-être rendre un service aux vrais philosophes, et engager les bons Maçons à le devenir.

Et l'on finit par voir que tout cela nous mène à la présentation, qui fait l'objet d'une grande partie du Tome 2, de la grande invention de Tschoudy, la Société des Philosophes Inconnus, qui n'est rien d'autre qu'une société d'alchimistes, qui soit internationale mais avec une structure pyramidale déterminée sur base géographique, où un associé peut ne connaître que son supérieur direct (dit patron). Elle admet des gens de toute condition ou religion (sauf athéisme), pourvu qu'ils soient honnêtes hommes, de bonnes mœurs, curieux, discrets et charitables (mais difficilement les religieux et rarement les souverains), maçons ou non. Les associés prennent un nom cabalistique. Les trois grades sont ceux d'apprenti, compagnon et profès ou philosophe.

Les statuts de la Société sont donnés aux pp. 149-178 et son catéchisme d'apprenti aux pp. 179-232 et 242-3 (ces deux parties sont séparées par une ode en italien, qui répond à une question) ; en voici un extrait significatif (p. 197) :

D. Quel est l’objet de la recherche des Philosophes ?
R. C’est la connaissance de l’art de perfectionner ce que la nature a laissé imparfait dans le genre minéral, d’arriver au trésor de la pierre philosophale.

Si quelqu’un des frères est assez heureux pour conduire l’œuvre à sa perfection, d’abord il en donnera avis. Le bénéfice qu'il en tirera sera partagé par tiers entre les œuvres pies, les nécessiteux et lui-même.

La maçonnerie, fille de l'alchimie ?

Une hypothèse - renversement assez paradoxal - proposée par Tschoudy est (p. 177) que les statuts des Maçons semblent avoir été calqués sur ceux des Philosophes, d’où l’on conclurait avec assez de vraisemblance, que le but physique est peut-être l’objet essentiel de notre association première.

Prétention qu'il confirme d'ailleurs en d'autres endroits, comme celui (p. 147) où il décrit la société des Philosophes inconnus comme le tronc, l’arbre essentiel de la maçonnerie.

En fait, il ne s'agit pas ici de hauts grades postmagistraux, mais d'une société indépendante.

9. la maçonnerie d'Adoption

Sans rime ni raison, le T. 2 se termine (pp. 247-252) par quelques considérations (banales) et un discours sur la maçonnerie d'Adoption.

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