Couplets
au
Grand Orient et à ses dignitaires
(en particulier, Stassart et Verhaegen)
(Bruxelles, 1836)
Ce Cantique d'avril 1836, écrit par Defrenne pour la Fête de l'Ordre, a été mis en musique par Emile Michelot aîné.
Le Grand Orient de Belgique avait été fondé en 1833 et avait été présidé de facto par Defrenne lui-même (qui exerçait les fonctions de Grand Maître sans en avoir voulu porter le titre) jusqu'à l'élection de Stassart, qui fut installé le 2 mars 1835. Mais la fonction de celui-ci était plutôt honorifique, n'ayant comme but principal que de garantir la bienveillance de Léopold Ier (grand admirateur de Napoléon dont il avait été un homme de confiance, Stassart considérait sans doute son rôle comme analogue à celui de Cambacérès sous l'Empire), qui pensait qu'une franc-maçonnerie convenablement dirigée peut rendre de grands services au pays sous le rapport de la propagation de l'instruction publique et sur celui de la nationalité.
Compte tenu des multiples occupations de Stassart, il avait donc été convenu que ce serait son Premier Grand Surveillant Verhaegen qui ferait tout le travail.
Stassart, le Sérénissime Grand Maître, et Verhaegen, son digne représentant, sont donc à ce moment, depuis un an, le duo de direction du Grand Orient, et c'est dès lors à eux que s'adresse Defrenne.
Quelques commentaires aideront à comprendre la portée des divers couplets :
l'opinion libérale et maçonnique s'élevait à l'époque contre l'influence croissante, dans l'opinion catholique belge (comme française), de l'ultramontanisme (cfr. l'allusion, au couplet 5, aux cagots du Tibre) propre à ranimer l'agitation antimaçonnique. Les deux premiers couplets visent donc la campagne qui se développait alors contre la maçonnerie et qui allait aboutir à sa condamnation par l'épiscopat en 1837.
En particulier, l'encyclique Mirari vos de Grégoire XVI en 1832 avait marqué le début d'une offensive (visant en fait, sans les nommer, Lamennais et son journal l'Avenir) contre les doctrines subversives telles que la liberté de conscience (qualifiée d'erreur des plus contagieuses), la liberté de la presse (liberté exécrable), la séparation de l'Eglise et de l'Etat, le libéralisme, le rationalisme, l'indifférentisme (cette opinion funeste répandue partout par la fourbe des méchants, qu'on peut, par une profession de foi quelconque, obtenir le salut éternel de l'âme, pourvu qu'on ait des mœurs conformes à la justice et à la probité) et le gallicanisme, tout en s'en prenant aux sociétés conspiratrices accusées de répandre de telles doctrines. La même année, dans la même ligne, le très ultramontain abbé Vrindts publiait à Bruxelles son pamphlet Les erreurs de l'abbé de Lamennais, dont une part importante est constituée par un procès de la franc-maçonnerie, procès dont voici quelques passages significatifs (pp. 75-7):
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le 3e couplet contient l'inévitable appel à la philanthropie
le 4e salue particulièrement les talents littéraires de Stassart
le 5e rend hommage au rôle de Verhaegen en tant que fondateur de l'Université Libre de Bruxelles, en réponse à l'Université catholique de Louvain. Dans un discours aux Amis Philanthropes, Verhaegen, lors du solstice d'hiver 1852, rappelait cet épisode (considéré de nos jours comme son plus beau titre de gloire) dans les termes suivants (source : l'ouvrage de Els Witte et Fernand V. Borné, Documents relatifs à la franc-maçonnerie belge du XIXe siècle, 1830-1885) :
Quand l'Episcopat belge eut recours à l'étranger pour créer l'Université catholique dont les statuts indiquaient la tendance, nous eûmes recours, nous, à la Maçonnerie pour créer l'Université Libre de Bruxelles.
Ce fut le 24 juin 5834, lors de la fête solsticiale d'été, dans le sein même de ce Respectable Atelier que furent jetées les bases de ce grand établissement scientifique. Toutes les Loges du pays s'empressèrent de prendre part à cette oeuvre maçonnique. On voit que l'opinion libérale n'avait pas perdu de temps, et l'Université de Louvain avait été ouverte le 4 novembre et précisément 16 jours après, le 20 novembre, l'Université Libre de Bruxelles le fut également.
Cette Université, votre fille aimée, objet de toutes les attaques des cléricaux, n'a pas cessé de prospérer. Les préventions se sont dissipées et aujourd'hui, elle tient le premier rang ...
En 1835 déjà, Defrenne avait chanté, à propos de Verhaegen (le Tibre fait une bonne rime pour libre) :
Peu soucieux des bourasques du
Tibre,
Il nous dota de l'Université,
Qu'à bonne enseigne, on appelle la libre ;
Et dont le plan, chez nous fut concerté.
Dans le dernier couplet, l'hommage patriotique - repris en choeur - au roi Léopold Ier n'est pas oublié. Non plus que le rappel de son appartenance maçonnique (historiquement discutable, mais tenue pour acquise par le Grand Orient, auquel elle permettait de se targuer de sa protection). L'allusion à sa philanthropie vise sans doute les dons qu'il avait faits dans ce but au Grand Orient (pratique qu'il abandonna après la rupture entre la maçonnerie et l'Eglise catholique) : la présence de Stassart à la tête de l'Obédience constituait aux yeux du roi la garantie que celle-ci servirait ses propres objectifs politiques.
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Couplets adressés au Grand Orient de la Belgique au Sérénissime Grand Maître National, l'Illustre Frère de Stassart, et à son DIGNE représentant Le Respectable Frère Verhaegen, aîné. mis en musique par le Très Cher Frère émile michelot, aîné. et chantés au banquet de la fête de l'ordre maçonnique, le 6e jour du 2e mois de l'an de la Vraie Lumière 5836.
1. Du mal, quand le hideux génie 2. Déclarons franchement la guerre 3. N'épargnons pas de sacrifice 4. Adressons à qui nous préside, 5. A celui qui le représente, 6. Songer souvent à sa patrie Choeur. Ressouvenons-nous que naguère |