Les Maçons réguliers
Cliquez ici (midi) ou ici (mp3) pour entendre l'air, séquencé par Christophe D.
Cette chanson intitulée Les Maçons réguliers et présentée par Escodeca à sa Loge écossaise l'Avenir de Bordeaux, le 20 décembre 1840 (soit, très probablement, à l'occasion du solstice d'hiver), figure aux pp. 28-32 du premier de ses deux carnets intitulés Temps perdu.
Quand dans le texte il est question de l'Avenir - avec majuscule - il s'agit évidemment de la Loge, celle que le Suprême Conseil considérait comme un modèle de régularité.
Voir ici sur l'air de la treille de Sincérité.
Qui sont donc ces Maçons réguliers que cette chanson décrit comme si peu dignes d'estime ?
Ce ne sont assurément pas les vertueux maçons qu'Escodeca évoquait en 1837 dans son discours sur la régularité en franc-maçonnerie, prononcé lors de l'installation de la Loge L'Avenir.
L'auteur use en fait ici plutôt de l'antiphrase, et parle de maçons qui - à son avis personnel évidemment - se prétendent réguliers (et même seuls réguliers) ... mais qui en fait usurpent ce titre.
Ceux-là sont les ennemis qui (cfr couplet 8) forment l'implacable escouade des Maçons fourbes et jaloux, faisant dans l'ombre une Croisade d'ignorants, de sots et de fous, cohorte qui s'avance et s'approche sans bruit de la Loge de l'Avenir (laquelle n'a cependant rien à craindre puisqu'elle est protégée à la fois par Saint Jean qui chasse l'envahisseur d'un coup de pied et, comme l'indique le refrain, par le Ciel lui-même).
Diable ! Quelle peut donc être cette dramatique conspiration ? Quelle est cette escouade, comparable à celle des Forces de la Nuit qui, à la fin de la Flûte Enchantée, s'introduit dans les caves du Temple du Soleil pour détruire le pouvoir de son Grand Maître Sarastro ?
MONOSTATOS, LA REINE de la Nuit et LES 3 DAMES C'est là que nous voulons les surprendre, et exterminer tous les bigots de la terre par le feu et la puissante épée ! |
MONOSTATOS, KÖNIGIN und DAMEN Dort wollen wir sie überfallen, die Frömmler tilgen von der Erd' mit Feuersglut und mächt'gem Schwert! |
Un petit rappel historique va nous le révéler.
Un épisode bordelais de la guéguerre des Obédiences On sait - et de nombreuses pages de ce site, comme celle-ci, celle-ci ou celle-là, en portent témoignage - que l'histoire de la maçonnerie française au XIXe (mais il en reste des traces aujourd'hui !) se caractérise par une navrante lutte d'hégémonie entre le Grand Orient et le Suprême Conseil écossais et par l'échec de toutes les tentatives de rapprochement.
A quoi elles avaient reçu la réponse suivante (décidée le 22 septembre et communiquée aux Loges le 19 octobre) :
L'Obédience précise plus loin (en réponse à la 3e question) que les Ateliers du Grand Orient ne peuvent recevoir en visiteurs aucun membre de cette association qualifiée d'irrégulière, et que toute communication est impossible entre les Maçons réguliers et les irréguliers. [NB : le Globe, après avoir rendu compte de ces débats, jugeait (à raison) regrettable cette manifestation d'intolérance, à laquelle il fut effectivement mis un terme un an plus tard malgré l'échec d'une négociation] |
On comprend donc le ressentiment d'Escodeca, qui se voit ainsi qualifier d'irrégulier par le Grand Orient, alors même que son Rite (qui a toujours entretenu un vif complexe de supériorité vis-à-vis des autres), sa Loge (que le Suprême Conseil qualifiera en 1841 de modèle de régularité) et lui-même (il est 33e et très conscient de l'importance que cela lui donne) se considèrent comme plus réguliers que quiconque.
On comprend déjà moins bien qu'il manifeste tant de rancoeur envers les membres des autres Loges bordelaises qui (cfr couplet 4), après s'être posés en frondeurs pour interroger le Grand Orient (dont ils espéraient manifestement une réponse positive), ont rendu les armes quand cette réponse les a déçus.
Et on pourrait le soupçonner de mesquinerie quand il découvre tout-à-coup, maintenant qu'il n'est plus autorisé à frayer avec eux, que ces maçons qu'il a fréquentés jusqu'alors ne sont en fait que des êtres méprisables, des Judas, des noceurs, des vendus, des ânes chargés de reliques ... Ces raisins seraient-ils devenus trop verts ?
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