Escodeca

Jean-Armand (ou Jean-Arnaud ?) d'Escodeca de Boisse (1802-1865) est un littérateur du milieu du XIXe, assez peu connu puisque, si l'on trouve trace de certaines de ses oeuvres, on ne trouve sur lui guère de détails biographiques : nous avons pu noter qu'il fut commerçant, puis secrétaire à l'Imprimerie Nationale et qu'il eut une activité philanthropique vouée aux crèches (sujet sur lequel il a publié).

C'est en fait son appartenance à la maçonnerie (et plus précisément à sa branche écossaise) qui nous a permis d'en apprendre plus sur lui.

Un document du Suprême Conseil en 1841 le mentionne en effet (p. 54) comme Membre honoraire du Suprême Conseil et son Représentant à Bordeaux, pour les départements de la Charente, de la Dordogne et de la Gironde et signale (p. 27) que A Bordeaux, le Chapitre et la Loge L'Avenir continuent à être des modèles de régularité. Le Très Illustre Frère Escodeca, notre Député Grand Représentant, dont les exemples et la surveillance éclairée contribuent puissamment à ce résultat et ont placé le Rit dans cet Orient sur un pied respectable, a reçu les pouvoirs nécessaires pour la formation d'un Aréopage du 30e degré, n° 74, sous le titre distinctif la Vérité. Le Suprême Conseil devait cette récompense au zèle et au dévouement des Maçons de Bordeaux, qui ne se sont jamais écartés des vrais principes de l'Ordre, et qui résistèrent à toutes les suggestions.

Le Globe a publié en 1841 son discours de 1837, lors de l'installation de la Loge chapitrale bordelaise L'Avenir, sur la régularité en franc-maçonnerie.

Sa Défense du rite écossais ancien accepté (1840) a été rééditée chez Lacour en 2001 (image ci-contre).

En 1842, lors de l'installation solennelle, par ses soins, de la nouvelle Loge niortaise les Amis de l'Ordre, il récita son poème la Miette du Banquet.

Nous avons pu mettre la main sur deux carnets portant sa signature (ci-contre) et intitulés Temps perdu, où il a noté en manuscrit ses textes en vers, dans l'ordre chronologique, respectivement de novembre 1839 à mai 1842 (114 pages) et de mai 1842 à juillet 1847 (281 pages).

On y trouve : poèmes, contes, cantate, scène lyrique, chansons, historiette, ..., et notamment :

Jacques Malvesin

Jacques Malvesin (30e) est mentionné comme l'auteur de Stances sur l'immortalité dans le n° 9 (juin 1854) des Esquisses de la vie maçonnique suisse (pp. 146-8) et ici en 1840 comme ex-Vénérable de la Loge bordelaise L'Avenir et auteur d'une autre version du même texte. On voit ici que lors de l'installation de cette Loge, étant à ce moment 18e, il en était bien le Vénérable, et que - tout comme Escodeca - il a prononcé un discours, portant sur les Principes vrais de la Maçonnerie.

Plusieurs textes du Tome I sont relatifs à la maçonnerie :

pages

Titre 

air (si mentionné) 
28-32 Les Maçons réguliers La treille de sincérité
34-37 Réponse à la deuxième Santé (Loge de l'Avenir)  
38-41 les Réformateurs de Nostradamus
44-46 au Général Jubé  
73-76 Inauguration des décors du Général Jubé  
100-111 Les Francs-Maçons  

Certains sont certainement destinés à être chantés, pour les autres rien n'est mentionné.

Le point commun de tous ces textes est une vive détestation pour toutes les idées nouvelles.

Messianisme religieux versus messianisme politique

Sur une autre page de ce site, nous proposons une chanson de Bazot, parue en 1838 et intitulée Hiram et Salomon. Bazot y fait écho, sur le mode de la plaisanterie, à un débat qui divisa les maçonneries française et belge pendant une bonne partie du XIXe : était-il opportun de s'intéresser, à l'intérieur des Loges, au monde extérieur et à ses problèmes, autrement que par de simples gestes de philanthropie sous forme d'aumônes ? Soucieuses d'éviter les foudres du pouvoir en des temps où la liberté d'association n'était pas encore acquise, les Obédiences françaises s'y montrèrent longtemps hostiles (allant même jusqu'à sanctionner des Loges dont le progressisme avait déplu à l'autorité) alors même que, comme on le voit à de nombreuses pages de ce site, beaucoup de Loges entendaient appliquer le principe Que rien de ce qui est humain ne me soit étranger ou même se voulaient militantes et engagées.

Deux citations - toutes deux trouvées dans le Tome II de l'Histoire de la Franc-maçonnerie française (Fayard, 1974, pp. 278-80) de Pierre Chevallier - illustrent cette opposition : 

  • La Maçonnerie est l'archive de la science universelle, la collection la plus complète des faits du savoir humain ... elle embrasse les sciences et les arts physiques, comme aussi les doctrines morales et les sciences sociales ... elle est donc tout à la fois politique, scientifique, morale et religieuse ... (Séraphin Besson, de La Persévérance Couronnée de Rouen, discours en 1834)

  • [les véritables travaux de la Maçonnerie] ... comme ceux de toutes les religions, doivent consister dans la célébration des mystères, dans les Initiations, dans les Prédications, les Instructions, dans l'observance rigoureuse des fêtes et règles établies, et enfin dans les Pratiques de bienfaisance ... Jamais, sous quelque prétexte que ce soit, on ne doit discuter ni disputer dans les temples ... toute Loge qui dispute ou qui controverse est perdue. Rien ne la sauvera de la ruine ... (Nicolas Des Etangs)

Il est manifeste, à la lecture de ses textes, qu'Escodeca - tout comme son ami Jubé - était un chaud partisan de la deuxième de ces options et qu'il ne concevait la maçonnerie que comme très religieuse et très conservatrice ; à l'égard de la première par contre, il manifestait  une intolérance aussi absolue que méprisante, revenant à tout propos sur ce sujet d'une manière obsessionnelle (il y consacre par exemple 6 des 7 couplets de la Réponse à la deuxième Santé). 

A l'exception de quelques cas, relativement rares, concernant soit la rivalité entre Rites soit le militantisme anticlérical, il est exceptionnel de trouver dans des chansons maçonniques une telle virulence quasi-haineuse, du même niveau que le Syllabus de Pie IX condamnant les monstrueuses erreurs modernes.

Un peu plus tard cependant, comme le mentionne Chevallier (p. 240), ... le Rite Écossais ne pouvait pas plus que son homologue du Rite Français rester étranger à la fermentation d'idées de ce temps à la fois bourgeois et antibourgeois. En juillet 1843, les frères Fernig et Decazes conviennent dans leurs discours de la nécessité de faire étudier par les Loges du Rite les grandes questions morales et sociales qui occupent alors l'opinion.

Dans son Histoire des trois Grandes Loges de francs-maçons en France, Rebold détaille ainsi (p. 499) cet événement survenu en juin (et non juillet) 1843 :

1843. — 24 juin. Célébration du solstice d'été par la Gr. Loge centrale écossaise, dans le local du Tivoli d'hiver, sous la présidence du lieutenant Gr. Commandeur comte de Fernig ; le Sup. Conseil y assiste, ayant à sa tête le Souv. Gr. Commandeur duc Decazes. Le F. de Fernig prononce un discours, dans lequel il fait une profession de foi maçonnique et politique à la fois, empreinte des sentiments les plus libéraux et partant présentant le contraste le plus frappant avec la constitution aristocratique du Sup. Conseil et les décrets rendus par lui depuis sa création. « Pour réussir, disait-il entre autres choses, il faut que les loges s'occupent sérieusement des grandes questions qui fixent les regards des plus excellents esprits de notre époque : il faut qu'elles se créent des séries d'études, et que de nos tribunes jaillissent d'utiles enseignements. Ainsi notre institution s'assurera le concours des natures élevées et jettera sa lumière sur les incrédules qui, encore aujourd'hui, nient sa valeur et son autorité morale ; ainsi seulement elle prendra rang parmi ces créations d'ordre et de progrès qui font la force et la gloire de notre pays. » 

Le duc Decazes répondit au général Fernig : « Les principes que vous venez d'entendre émettre sont ceux de la vraie maçonnerie, de cette institution d'ordre et de paix qui ne veut et ne recherche que l'amélioration de l'homme, que ce qui peut élever son coeur et épurer son esprit. Cette noble mission, pensée constante des meilleures intelligences, doit se révéler et se traduire par des actes ; et nous ne saurions trop vivement solliciter les loges de se livrer à des travaux sérieux, à l'examen des hautes questions qui touchent et intéressent l'avenir. »

Mais Rebold ne peut masquer sa déception quand il commente :

Vingt années se sont écoulées depuis que ces paroles franches, loyales, empreintes du véritable esprit maçonnique ont été prononcées, et quels sont les changements à signaler aujourd'hui dans les travaux des loges du Sup. Conseil ?

Escodeca fut-il marri du principe d'un tel changement de cap ? Après 1842, on ne trouve en tout cas plus d'allusion à la maçonnerie dans ses carnets Temps perdu.

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