Les Fra-Maçonnes

 

Personnage assez pittoresque, et auteur de nombreuses pièces (dont le Tom Jones de Philidor) et parodies (parfois mises en musique par La Borde), Poinsinet (1735-1769) imagina en 1754 cette pièce entièrement chantée (elle utilise 53 airs différents, prélevés dans le répertoire), Les Fra-Maçonnes, qui peut être consultée sur le site de la Bibliothèque Nationale de France ou sur une page du site Théâtre classique :

Les Fra-maçonnes, parodie de l'Acte des Amazonnes, dans l'Opéra des Fêtes de l'Amour et de l'Himen, en un acte, représentée pour la première fois sur le Théâtre de la Foire St-Laurent, le 28 août 1754 - A Paris, chez Duchesne.

Les Fêtes de l'Amour et de l'Hymen, qui sont ici parodiées, ne peuvent être la comédie-ballet de ce nom par Jean-François de Saint-Lambert (1716-1803), qui date de 1756. Il s'agit plutôt des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, opéra-ballet de Rameau en 1747 sur un livret de son librettiste préféré, Louis de Cahusac. On voit ici que c'est à l'occasion de sa reprise en 1754 que fut imaginée notre parodie.

L'épigraphe empruntée à Horace (... Ridendo, dicere verum, Quid vetat ? Satires, 1.24) peut se traduire Si c'est en riant, qu'est-ce qui interdirait de dire la vérité ?

Les Fra-Maçonnes sont une simple pochade, dont le thème (le désir de la gent féminine de pénétrer dans les Loges) est bien dans l'air du temps.

La présente page a été mise en ligne en 2008.

Dans le n° 113 (2019) de la revue La Pensée et les Hommes, intitulé FRANC-MAÇONNERIE ET MUSIQUE, Jean-Luc Impe se livre à une analyse musicologique extrêmement fouillée de cette pièce, comportant 4 chapitres :

  • Les Fra-Maçonnes

  • Principe de transcription. Sommaire des airs

  • Les Fra-Maçonnes. Texte

  • Les Fra-Maçonnes. Musique

Résumé

A la scène I (la plus longue), le Vénérable s'assure auprès du Premier Surveillant que tout est prêt pour la cérémonie prévue ... et pour le bon repas qui doit la suivre. Mais le Surveillant vient d'apprendre qu'une cohorte de trente femmes veut forcer les portes de la Loge, menée par une nommée Hortense. Le Vénérable est atterré, car il a un faible pour cette Hortense. Le Surveillant, impitoyable, annonce qu'elles seront châtiées si elles s'y risquent, et le Vénérable, peu soucieux de se brouiller avec Hortense, tente de l'en dissuader. Ils échangent des arguments pour (sous son empire / règne le plaisir ... Dès lors qu'il élève l'âme / L'amour n'est plus une erreur) et contre (Ce sexe n'aspire / Qu'à nous asservir) la présence des femmes dans les Loges (il est à noter que de telles argumentations en sens contraire se voient fréquemment dans les chansonniers maçonniques).

Quel châtiment ?

Le châtiment envisagé par le Surveillant pour ces femmes trop audacieuses est de les débarbouiller pour dépouiller leurs figures de leurs fards. Cela sera confirmé à la scène VIII quand la troupe de Francs-Maçons armés de petits seaux se dirigera vers les envahisseuses à l'instigation du Surveillant chantant Avançons braves Compagnons / Suivons les leçons / De nos anciens Maçons.

On sait qu'au XVIIIe, si un profane indiscret, tentant de se faire passer pour maçon, arrivait à pénétrer dans le Temple, le châtiment usuel - s'il était démasqué - était de l'arroser d'eau de la tête aux pieds (serait-ce l'origine de l'expression il pleut ?). En témoigne le dialogue suivant, entre le Vénérable et le Surveillant, extrait d'une divulgation de 1751, le Maçon démasqué, ou le vrai secret des Francs-Maçons mis au jour dans toutes ses parties avec sincérité et sans déguisement.

 ... après quoi il arrivait souvent qu'il fût initié séance tenante, puisqu'il fallait bien l'empêcher de révéler les secrets dont il aurait eu connaissance.

Nous avons trouvé dans la gazette intitulée La feuille sans titre en 1777 l'amusant entrefilet suivant :

M. le Duc de Chartres, en se mettant à la tête de la Franc-maçonnerie, en a fait renaître le goût. On voit de toutes parts des Loges s'élever. Un pauvre diable qui s'imaginoit que l'objet de ces assemblées étoit de faire de l'or eut envie d'en apprendre le secret. II eut l'adresse de s'insinuer dans une salle où l'on tenoit loge, & le courage de s'y tenir quelque tems caché derrière une tapisserie. Un mouvement involontaire le trahit, & on l'eut bientôt découvert. On lui fit une belle peur, & suivant les loix on l'obligea à se faire recevoir. La cérémonie faite, & après s'être beaucoup amusé de sa frayeur, les Frères se cotisèrent en faveur de ce malheureux, & la quête lui produisit 75 louis. Celui-là a bien eu le véritable secret & son espoir d'apprendre à faire de l'or n'a pas été déçu.

Ce texte montre bien qu'à l'époque, la conviction que les maçons détenaient le secret de la transmutation des métaux était fort répandue dans le public. Mais il se trouvait même des maçons, quelque peu naïfs ou illuminés, pour la partager, ce qui explique l'incroyable succès au XVIIIe de certains hauts grades alchimiques ou templiers.

On trouve de même dès 1730, dans La maçonnerie disséquée de Prichard, le dialogue suivant :

  • Où se tient le plus jeune apprenti entré ?
  • Au nord.
  • Quel est son travail ?
  • Tenir à l'écart les cowans et les indiscrets.
  • Si un cowan (ou un indiscret) est surpris, comment doit-il être puni ?
  • Il doit être placé sous les gouttières de la maison (par temps de pluie) jusqu'à ce que l'eau coule sur ses épaules et de là jusqu'à ses souliers.

*

Faut-il voir ici une transposition de tels usages ?

A la très courte (8 vers) scène II, le Vénérable, resté seul, exprime son déchirement entre son amour pour Hortense et son devoir.

A la scène III, commence la cérémonie, interrompue par un grand bruit ... au moment même où le Vénérable s'apprête à révéler au profane LE secret des maçons !

Ce grand bruit est celui provoqué par Hortense et sa troupe qui, à la scène IV, forcent la porte du Temple et se heurtent aux maçons en tentant d'y pénétrer. On est près d'en venir aux mains quand le Vénérable s'interpose et essaie - sans succès - de raisonner Hortense, qui pour sa part tente - sans plus de succès - de le convaincre. Le Surveillant met un terme à ce dialogue de sourds en emmenant avec lui - au désespoir du Vénérable - les maçons pour préparer leur vengeance.

A la scène V, Hortense envoie ses amies chercher de quoi calmer le courroux des maçons, ce qui lui permet de rester seule avec le Vénérable à la scène VI ; ils continuent à argumenter, mais le ton tourne progressivement au marivaudage, et le Vénérable finit par avouer sa flamme.

La scène VII voit le retour des femmes, portant des corbeilles pleines de fleurs et des noeuds de ruban.

A la scène VIII, les maçons reviennent à leur tour avec leurs petits seaux pour les débarbouiller. Le Vénérable essaie de les arrêter, mais c'est Hortense qui, en leur faisant distribuer les cadeaux préparés, arrive à les calmer. Dernier à résister, le Premier Surveillant cède lui aussi devant la menace du Vénérable de le bannir du repas. Le Vénérable reconnaît la victoire d'Hortense et accepte que les femmes désormais soient admises à nos mystères.

Tout se termine par un ballet, et l'on nous signale (voir ci-dessous) que le Chorégraphe a adopté avec art dans une contredanse ... les figures les plus connues de la maçonnerie. Quel dommage que, si l'on a sauvé le texte et la musique, il ne reste (à notre connaissance) pas de traces de cette chorégraphie !

Cette parodie est terminée par un ballet, dont la musique est prise dans l'acte même que l'on a eu dessein de parodier. Il commence par une marche dansante, dans laquelle les hommes s'unissent avec les femmes. Cette marche est suivie d'un pas de deux, qui forme par lui-même tout le plan et l'intrigue de la Pièce. Une femme veut attendrir un homme qui lui résiste d'abord et qui lui cède à la fin. Le corps du Ballet qui succède au pas de deux, aussi bien que la contredanse connue vulgairement sous le nom des oiseaux, achève de marquer l'union des francs-maçons avec les femmes, et le Chorégraphe a donné des preuves de son talent en adoptant avec art dans une contredanse très courte et composée simplement de douze personnes, les figures les plus connues de la maçonnerie.

Les maçons, miroir des Amazones

Dans le ballet héroïque de Rameau, Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, la première entrée, intitulée Osiris ou les Amazones, conte la dispute concernant la présence des hommes (menés par Osiris) qui survient entre les Amazones, dont une partie finalement se laisse séduire par des offrandes de fruits et de fleurs tandis que l'autre veut combattre ; mais finalement l'amour entre Osiris et la reine des Amazones établira la paix. La symétrie inverse des deux intrigues, entre deux sociétés qui excluent, l'une les hommes et l'autre les femmes, ne manque évidemment pas d'un certain sel ...

Osiris ou les Amazones

Voici, d'après une page du riche site magazine de l'opéra baroque, le scénario de Osiris ou les Amazones :

Sc. 1 - Myrrhine, une Amazone, exhorte Orthésie, la reine des Amazones, à ne pas subir la présence d'Osiris et de sa troupe. Les Amazones courent aux armes et se préparent à la guerre. Osiris arrive en même temps.

Sc. 2 - Osiris annonce qu'il vient pour offrir la paix et l'amour. Les Amazones veulent combattre. Osiris renouvelle ses exhortations à partager l'Amour. Il offre un ballet.

Premier Ballet

Trois différents quadrilles représentant les Saisons offrent à Orthgésie toutes les espèces de fleurs et de fruits. Ils se perdent dans les rangs des Amazones. Myrrhine suit la première.

Sc. 3 - Les Amazones commencent à se laisser séduire.

Sc. 4 - Myrrhine s'en irrite, et décide de résister. Elle sort.

Sc. 5 - Second ballet

Les Muses de la suite d'Osiris, après avoir offert à Orthésie tout ce que les arts ont inventé de rare et d'agréable, se réunissent avec les Égyptiens et Égyptiennes pour élever de riches berceaux de fleurs des deux côtés du théâtre. Ces berceaux aboutissent dans le fond à un Salon de fleurs et de verdure. Il est percé à jour, et les rameaux qui le forment sont chargés de toute sorte de fruits.

Toutes les Amazones sauvages que la crainte avait tenues éloignées, accourent à ce spectacle et remplissent ce côté du théâtre. Elles un javelot d'une main ; elles tiennent, de l'autre, des fleurs et des fruits dont les acteurs du ballet étaient chargés et qu'ils ont abandonné à ce peuple sauvage.

Sc. 6 - Orthésie veut résister et veut frapper Osiris qui s'offre à ses coups. Orthésie finit par se laisser séduire. Mais on un bruit de sauvage. On voit sortir des cavernes et paraître au haut des rochers une troupe d'Amazones conduite par Myrrhine.

Sc. 7 - Myrrhine veut tuer Osiris, mais Orthésie s'interpose. Myrrhine est désarmée par la suite d'Osiris et d'Orthésie. On l'emmène.

Sc. 8 - Orthésie avoue s'être éprise d'Osiris. Celui-ci exulte : l'Amour est vainqueur.

Une campagne fertile, chargée de moissons, de fleurs et de fruits. L'union des deux peuples fait le divertissement. Contredanse générale sur le chant des oiseaux.

L'examen du livret complet (ici sur le site livrets baroques) montre des symétries frappantes, par exemple :

scène 1 de l'original

Myrrine

Ce Séxe ambitieux n'aspire
Qu'à l'honneur de nous asservir

scène 1 de la parodie

LE SURVEILLANT.

Ce sexe n'aspire
Qu'à nous asservir.

scène 2 de l'original

Osiris

Que craignez vous charmante Reine ?
On n'a point d'ennemis quand on a tant d'attraits

scène 4 de la parodie

HORTENSE.

AIR. Que craignez-vous, charmante Reine. (NDLR : la parodie utilise donc, non seulement des airs traditionnels, mais aussi ici un air de Rameau)

Que craignez- vous, mon vénérable,
On ne fuit point l'amour quand on est beau garçon.

De tels clins d'oeil devaient évidemment ravir le public de l'époque.

En 1754, Osiris était interprété par Jelyotte.

Nous donnerons ici l'un ou l'autre extrait, musicalement illustré, de cette comédie :

Scène  partie 
I partie 1

partie 2

partie 3

II totalité
III totalité
VII totalité
VIII totalité

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