La Loge d'Anacréon
Cliquez ici pour entendre le fichier de l'air 589 de la Clé du Caveau, séquencé par Christophe D.
Aux pages 90 à 92 du Tome II, daté de 1807, (ce tome est accessible sur Google-Books, derrière le Tome I) des Annales maçonniques de Caillot, figure ce cantique d'Antignac, qui fut (comme celui-ci) chanté à la Loge d'Anacréon par Garat.
Il n'est pas précisé ici s'il s'agit de Fabry ou de Pierre-Jean, tous deux maçons. Par contre, une autre édition de ce cantique, que nous avons pu consulter à la Bibliothèque municipale de Lyon sous la cote Bibliothèque municipale de Lyon SJ R.338/8, porte en titre la mention :
Loge
d'Anacréon,
Orient de Paris.
Cantique pour l'Inauguration de la Loge
le 14e jour du 5e mois, An 5805.
Paroles du Cher Frère Antignac, l'un de ses membres
Chanté par le Cher Frère Fabry Garat, aussi membre de la Loge.
C'est la note de bas de page qui a particulièrement attiré notre attention :
Il convient de savoir, pour l'intelligence de ce Cantique, que la Loge étant en instance au Grand Orient pour la reprise de ses travaux, il y eut quelques observations relativement à sa dénomination, que plusieurs Frères regardaient comme non maçonnique ; la Loge insista, défendit son titre et son patron. Les Officiers du Grand Orient, au nombre de quinze, ayant à leur tête le Respectable Frère Roéttiers-de-Montaleau, représentant du Grand Maître, et membre honoraire de la Loge, vinrent visiter les premiers travaux de reprise. Le Cantique du Frère Antignac fut chanté par le Frère Garat, et, à dater de ce jour, le nom d'Anacréon resta irrévocablement consacré.
L'affaire rappelle celle des Neuf Soeurs quelques années plus tôt : là aussi, le titre distinctif choisi par la Loge avait entraîné quelques froncements de sourcils, et ce n'est qu'après une longue et très sérieuse procédure qu'elle avait obtenu gain de cause. Le Grand Orient semble avoir été moins regardant dans le cas présent ...
L'usage de l'accent gascon contribue évidemment à l'ambiance de bonne humeur peu sérieuse qui caractérise la manière de traiter la question ...
LA LOGE D'ANACRÉON. Un soir
dé cette Automne |
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On rit, on jase, on raisonne, On s'amuse un moment. Portant une couronne, Que Dieu mé lé pardonne, Comme à Lacédémone Le Banquet s'assaisonne Des bords de la
Garonne Mon frèré jé soupçonne, Nous né blâmons personne A ces mots chacun donne
Antignac. |
Aucun air n'est malheureusement mentionné. Cependant l'incipit Un soir de cet automne se trouve être le même que celui d'un air des Visitandines de Devienne, où il est précisément présenté comme une vieille chanson gasconne :
Un soir de cette automne,
De Bordeaux revenant,
Je vis nymphe mignonne
Qui s'en allait chantant :
On rit, on jase, on raisonne ;
On n'aime qu'un moment.
La similitude rend donc évident le fait que c'est bien cet air qui fait référence ici. Vu le succès des Visitandines, il était d'ailleurs sans doute tellement connu à l'époque qu'il n'a pas été jugé nécessaire de le mentionner explicitement ici ... [NB : il existe deux versions des Visitandines, l'une en trois actes et l'autre en deux. La partition intégrale de cette dernière est visible sur le blog François Devienne. Mais c'est dans la version en 3 actes que figure l'air Un soir de cet automne].
Mais il y a plus : on peut voir ici que Pierre-Jean Garat chantait régulièrement (avec accent et mimiques) cet air, dénommé La Gasconne, dont, bien avant qu'il soit intégré dans les Visitandines, il avait fait son grand succès populaire.
La chanson la Loge d'Anacréon n'en donc est en fait qu'une adaptation, chantée en Loge précisément par le frère de celui qui en avait fait une perle de son répertoire. On comprend mieux qu'Antignac n'ait pas jugé nécessaire de préciser ... et que les autorités du Grand Orient n'aient pu résister à une revendication (du titre distinctif d'Anacréon) exprimée avec autant de verve : L'Orient vous pardonne d'avoir un nom charmant.
Cette chanson doit être devenue une sorte d'hymne pour les membres d'Anacréon. Nous en avons en effet trouvé, dans le Fonds Gerschel des Archives de Strasbourg (cote 16 Z 28, ancienne cote 18-48), une version différente (manuscrite) dont les circonstances d'arrivée dans ce fonds d'archives méritent d'être narrées car elles constituent un intéressant témoignage de la manière dont les chansons maçonniques pouvaient se transmettre de Loge en Loge.
Le document en question est une lettre adressée à :
Comme on le verra, ce Cunier est à l'époque (janvier 1819) le Vénérable d'une Loge de Strasbourg, mais nous n'avons pu déterminer laquelle.
L'expéditeur s'identifie comme le Frère Duban de la Loge parisienne d'Anacréon, Souverain Prince Rose-Croix, et explique ainsi l'objet de son courrier, qu'il date du 8 janvier 1819 :
Très Cher Vénérable, Puisque vous l'avez désiré, j'ai la faveur de vous adresser mon Cantique maçonnique. Je ne lui attribuais que le mérite de l'à-propos, mais au sentiment fraternel qui m'anime, je trouve que je lui suis redevable de la Bienveillance de la respectable Loge que vous présidez si dignement. Daignez, Très cher Vénérable, lui témoigner à la séance de vos premiers travaux, combien je suis pénétré de reconnaissance d'un accueil si fraternel et dont le souvenir restera gravé dans mon coeur ... |
L'autre page
(ci-contre) comprend une introduction et (en deux colonnes) le texte de la
chanson, avec des notes explicatives. Nous les reproduisons séparément
ci-dessous. Par rapport au texte original ci-dessus, des couplets ont
disparu, un a été ajouté, et d'autres ont été modifiés (les
modifications sont en mauve ci-dessous).
Nous pouvons conclure que le Frère Duban, en visite à Strasbourg, s'y était taillé un petit succès en interprétant la chanson dont il semble s'être présenté, quelque peu abusivement, comme l'auteur. L'air mentionné ici est celui de la Gasconne : la Clé du Caveau renvoie pour ce titre à un jour de cet automne et mentionne pour cet incipit : Cet air n'a pas été fait pour les Visitandines ; il est pris dans la Soirée orageuse de Dalayrac ; voyez Auprès de Barcelone. Auprès de Barcelone est le n° 589, avec le titre alternatif un jour de cet automne (ce qui concorde avec les considérations ci-dessus). |
Ces couplets qui n'ont d'autre mérite que l'à-propos ont été chantés à la fête de l'Ordre le 3 janvier 1819. Le Vénérable a bien voulu les demander à l'auteur qui les envoye par obéissance ; celui-ci demande qu'ils soient reçus comme une preuve de ses sentiments fraternels maçonniques. |
Air : de la Gasconne
Un soir
de cette Automne Il
rit, il chante,
il raisonne
Portant une couronne, Il rit, etc.
Qué Dieu mé lé pardonne, Il rit,
il chante,
il raisonne
Des bords de la
Garonne (3) Il rit,
il chante,
il raisonne
Du Plaisir il nous
donne Il rit, etc.
A ces mots chacun donne On rit, on jase, on raisonne,
Il est des fleurs d'automne On s'amuse longtemps
(1) l'auteur est de la Loge d'Anacréon à l'Orient de Paris (2) M. Lavigne de l'Opéra [ndlr : il doit s'agir du ténor Jacques-Emile Lavigne, 1782-1855 ; on peut supposer qu'il avait succédé à Fabry-Garat comme vedette chantante de la Loge ?] (3) M. Lavigne est de Pau en Béarn |