Apologie gaillarde

pour les francs-maçons

Cliquez ici (midi) ou ici (MP3)  pour entendre l'air, d'après la partition de la page 423 de la Lire

Cette chanson est une de celles introduites en supplément dans l'édition 1787 de La Lire Maçonne, dont elle occupe les 4 dernières pages (523-6).

On ne la retrouvera qu'au XIXe dans la Muse maçonne de 1806 (p. 331) : sa diffusion est donc restée limitée aux Pays-Bas.

Au XVIIIe, gaillard a comme sens principal gai, joyeux.

Apologie

La chanson fait évidemment écho à l'une des multiples condamnations de la maçonnerie par des autorités civiles, qui ont émaillé le XVIIIe siècle.

Et, selon un schéma classique qu'on retrouve fréquemment dans la littérature maçonnique de l'époque (voir par exemple l'Apologie pour l'ordre des franc-maçons), elle répond aux diverses accusations (athéisme, incivisme, libertinage, ivrognerie, ...) qui ont été utilisées pour justifier de telles interdictions ; elle fait au contraire - comme l'indique le titre - l'apologie de la maçonnerie, décrite comme respectueuse de l'ordre établi, soucieuse de ne jamais parler de politique ni de religion, modérée dans ses plaisirs et vouée à l'entraide. La condamnation ne peut donc résulter que d'une mauvaise information (dont les malveillants responsables méritent d'être punis) et doit être révoquée, d'autant que - argument suprême et final - si la maçonnerie avait de mauvaises intentions, comment alors expliquer qu'elle compte dans ses rangs tant de princes et grands hommes honorablement connus et qui (tels Frédéric II, qui n'est pas explicitement cité, mais l'allusion semble évidente) la protègent ouvertement ?

La chanson ne précise cependant pas quel est le Sénat vénérable qui a édicté une ordonnance contre les maçons. Il n'est à notre sens pas improbable que les événements évoqués soient l’affaire d’Aix-la-Chapelle, qui fit grand bruit en 1779.

Clavel décrit ainsi cette affaire dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes (p. 145) :

... le magistrat d'Aix-la-Chapelle, s'étayant des excommunications fulminées contre les francs-maçons, interdit leurs assemblées dans cette ville, et prononça des peines sévères contre les délinquants. Son ordonnance stimula le zèle du dominicain Louis Greinemann et du capucin Schuff. Ils prêchèrent avec véhémence contre les frères et les signalèrent comme des impies, des infâmes et des conspirateurs, qui conjuraient la ruine de la religion et de l'Etat. Fanatisée par ces discours, la multitude se répandit dans les rues, proférant d'effroyables menaces contre les membres de la société. Plusieurs maçons, que le hasard conduisit sur son passage, furent traqués par elle, et ne durent leur salut qu'au courage et au dévouement de quelques citoyens. Il n'y eut ensuite que la résolution manifestée par les habitants des villes voisines de retirer aux moines la faculté de quêter dans leurs murs qui put enfin arrêter le cours de ces odieuses prédications.

Selon Mackey dans son Encyclopédie (p. 425 de la réédition par Kessinger), Greinemann expliquait dans ses sermons que :

  • les Juifs qui avaient crucifié Jésus étaient francs-maçons

  • Pilate et Hérode étaient les Surveillants d'une Loge maçonnique

  • les 30 deniers de Judas constituaient la redevance de son initiation

  • il abattrait de ses propres mains - pour autant qu'on lui prête assistance - tout maçon qu'il rencontrerait.

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Sous le titre violences exercées contre les francs-maçons, le Recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite consacre tout un chapitre (pp. 115-126 dans l'une des éditions) à cette affaire ; il reproduit notamment deux documents publiés par le Courrier du Bas-Rhin (journal édité à Clèves avec privilège du roi de Prusse) : un appel au secours des maçons d'Aix, et une lettre où est développée en détail (et cette fois avec une référence explicite à la protection de Frédéric II) une argumentation très similaire à celle de notre chanson. Cette lettre avait antérieurement été également publiée dans le Mercure de France d'Amsterdam ainsi que dans le Journal historique et littéraire de Luxembourg.

On sait aussi que le duc de Brunswick, prince de Hesse-Darmstadt, et le prince-évêque de Liège, Velbruck, protestèrent par lettre.

Un ouvrage en allemand de la même année, Vertheidigung der Freymaurer wider die Verläumdung zweener Geistlichen (Défense des Francs-Maçons contre les imputations dé deux religieux), reprend, entre autres textes, la traduction de ces deux documents.

L'air proposé, Les Bourgeois de Chartres, est un Noël très connu dont la métrique correspond (y compris les caractéristiques répétitions la la et don don).

La partition de la p. 423, à laquelle il est également renvoyé, est la même que celle gravée à la présente page.

Le même air est utilisé par une autre chanson de ce site.

Il peut être utile d'attirer l'attention sur la phrase :

Jamais on ne troubla / Dans sa Religion / Ni Payen, ni Fidèle.

Au XVIIIe, le Dictionnaire de l'Académie définit un païen comme Idolâtre, adorateur des faux Dieux, des Idoles mais précise Il ne se dit plus aujourd'hui que par opposition à Chrétien, & on ne l'emploie qu'en parlant des anciens Peuples, comme les Égyptiens, les Grecs & les Romains, qui demeurèrent Idolâtres après la publication de l'Évangile.

Mais Littré donne d'intéressantes précisions : Dans le moyen âge, les chrétiens donnaient le nom de païens aux musulmans, malgré leur sévère monothéisme et S'est dit des mahométans, par opposition à chrétien, et même des hérétiques, par opposition à catholique.

Le fait qu'on dise ici rencontrer en Loge (s'agit-il de musulmans ou d'européens athées ? ) de tels païens, sans se préoccuper de leur religion ni envisager de les perturber dans leurs convictions, mérite d'être relevé car il n'est pas courant à l'époque (cfr notre encadré sur une autre page concernant les musulmans).

Une telle tolérance s'affirmera de plus en plus par la suite : fin XVIIIe, voir par exemple (à Bruxelles) cette chanson-ci  (où l'on remarquera la phrase Chrétiens, païens, quelle que soit votre secte, ne cherchez plus un culte dominant : il n'en est point), au début du XIXe celle-ci et en 1821 ce texte-ci.

En France et en Belgique, il faudra finalement peut-être plus de temps (jusqu'à l'abandon de l'obligation de l'invocation du Gadlu et - en 1877 pour la France - de la croyance en l'immortalité de l'âme) pour ouvrir officiellement (en fait il y en avait toujours eu, mais discrètement) les Loges tant aux athées et agnostiques qu'aux tenants d'autres religions du Livre.

APOLOGIE - GAILLARDE

Pour les

FRANCS-MAÇONS ;

 

Sur l'Air du Noël ; ou

Les Bourgeois de Chartres. Pag 423.

 

 

Un Sénat vénérable
Mais guidé par l'erreur,
Croyant l'Ordre coupable, 
Nous traite avec rigueur.
Objets de sa fureur,
En vain il nous décrie, 
Son Edit qu'on siffla, la, la,
Augmente le renom, don, don,
De la Maçonnerie
Objets, &c. 

Sa fameuse Ordonnance,.
Qui proscrit les Maçons,
Montre son ignorance,
Et ses faibles raisons. 
Sous de lâches soupçons,
Dignes de raillerie,
Jamais on n'accabla, la, la,
Le moindre Compagnon, don, don,
De la Maçonnerie.

 

 

C'est être téméraire,
Inique ou déloyal,
De juger d'une affaire 
Que l'on connaît si mal ; 
Magistrat partial 
Révoquez l'Ordonnance, 
Tel qui la conseilla, la, la,
De cent coups de bâton, don, don,
Gagna la récompense.

 

 

Un Athée, un Sectaire,
Un Rebelle, un Mutin
Serait donc notre Frère, 
Un fiefé Libertin ?
Mais ce dire incertain
Est une Calomnie ;
Il faut prouver cela, la, la,
Ou chanter sur le ton, don, don,
De la Palinodie.

Consultez, je vous prie,
La Raison, l'Equité,
Suivez la Confrairie
Dans son Antiquité ;
Bientôt la Vérité,
Se montrant toute nuë,
A vos yeux brillera, la, la,
Vous marchiez à tâtons, don, don,
Vous recouvrez la vuë.

 

 

Nos Mœurs, nos Exercices,
Nos Chansons, nos Statuts,
Prêchent l'horreur des Vices,
Et l'amour des Vertus :
Nous sommes reconnus
Pour sujets pleins de zèle ;
Jamais on ne troubla, la, la,
Dans sa Religion, don, don,
Ni Payen, ni Fidèle.

 

 

Chez nous nulle dispute,
Touchant Dieu ni les Rois,
A tort on nous impute
D'empiéter sur leurs droits ;
C'est un point de nos Loix,
Qu'on n'oserait enfreindre,
Et quiconque en parla, la, la,
Au silence profond, don, don,
L'Ordre sut le contraindre.

Sur les Mœurs deshonnêtes 
Ne s'aveuglant jamais, 
Il invite à ses Fêtes, 
La Décence & la Paix ! 
Bacchus, de ses bienfaits,
Libéral, non prodigue, 
Versant par ci, par-là, la, la,
Rétablit le Maçon, don, don,
Accablé de fatigue.

 

 

A resserrer sa Chaîne, 
On le voit diligent,
Il adoucit la peine 
De son Frère indigent : 
Dans un besoin urgent 
L'Amitié fraternelle,
Toujours se signala, la, la,
En prouvant par ses dons, don, don,
Son charitable zèle.

 

 

Songez, Sénat rigide,
Qu'enfin la Majesté 
Couvre de son Egide 
Notre Société.
Vous avez insulté 
Rois, Princes & grands Hommes 
Que notre Ordre enrolla, la, la,
Demandez-leur pardon, don, don,
Et sachez qui nous sommes l

 

F I N. 

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