A
moi ...
La littérature
maçonnique du XIXe - et particulièrement pendant la
période des guerres napoléoniennes - est remplie
d'anecdotes, généralement présentées comme absolument historiques, sur l'usage
salvateur du signe de détresse maçonnique permettant
sur les champs de bataille à des militaires
blessés (ou en posture désespérée) d'échapper à une menace mortelle.
On en trouvera
plus bas un grand nombre d'exemples.
En chansons
Ce thème est
évidemment présent aussi dans le chansonnier maçonnique ; c'est le cas
(mais sans référence à des faits précis) ici,
ici ou ici. Ici
et ici au contraire, on spécifie comme
cadre, à l'instar de Quentin et de César Moreau,
la bataille d'Austerlitz.
Le présent site
mentionne également une anecdote
(celle-là présentée comme historique) concernant l'auteur d'un cantique, le Frère Plasschaert.
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Wishful
thinking ?
Mais s'agit-il de
faits réels et avérés, ou de légendes forgées à la gloire de la
maçonnerie ? Il n'est pas illégitime de poser la question ...
Dans son (très
anti-maçonnique) ouvrage publié en 1913, L'idée de patrie et l'humanitarisme : essai d'histoire française,
1866-1901, Georges Goyau
donne (p. 43)
un avis évidemment partial mais certainement pas totalement infondé :
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Les cantiques qu’on entonnait, les pièces d’architecture qu’on lisait, rendaient volontiers hommage au « signe de détresse » maçonnique et aux curieux avantages qu’il offrirait en temps de guerre. On collectionnait à ce sujet les anecdotes : on promenait, de loge en loge, l’histoire du peintre David faisant le signe de détresse, à Rome, à l’officier autrichien chargé de l’arrêter, et obtenant ainsi son salut ; l’aventure de Blücher à Waterloo, faisant cesser le feu contre un bataillon dont le commandant était maçon ; la double bonne fortune du frère Gérard, vénérable du Globe, deux fois sauvé, sous le premier Empire, à Madrid et à Augsbourg, parce que l’ennemi l’avait reconnu maçon. Les plus lettrés pouvaient mettre à l’épreuve la sensiblerie des « louveteaux » en leur faisant admirer un
poème maçonnique de César Moreau sur la bataille d’Austerlitz, où détresse rime tout naturellement avec tendresse, et où l’on voit un Français et un Russe, sous les auspices du signe mystérieux, cesser leurs réciproques menaces, et échanger entre eux
les sermens répétés d’une amitié constante. |
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Quelques
exemples dans la littérature
Selon l'article de
Louis-Théodore Juge La bataille de Waterloo, paru aux pp. 51-55
du Tome premier du Globe, son père
Antoine Juge se signala au
cours de ladite bataille en sauvant la vie d'un officier prussien désarmé qui
avait fait le signe de détresse maçonnique.
Quentin, dans son Dictionnaire maçonnique, donne (pp. 144 ss.) lui aussi des exemples :
A la bataille de Fontenoy, au
moment où la colonne anglaise venait d'être entr'ouverte par l'artillerie, et que la cavalerie française y portait le
désordre et la mort, on entendit crier à la trahison. Plusieurs officiers de la
maison du roi qui s'étaient jetés avec toute l'ardeur produite par une longue résistance sur les Anglais, avaient tout
d'un coup fait volte face, et, couvrant de leur corps un groupe d'officiers ennemis, les défendaient obstinément
contre leurs compatriotes. Le roi et le dauphin qui étaient demeurés sur le champ de bataille s'étant approchés
demandèrent la cause des cris qu'ils avaient entendus. Ce sont des maçons français qui défendent des maçons
anglais, leur répondit-on. Le roi ne voulut point que le fer rompît un nœud
aussi tendre. Les maçons anglais furent sauvés.
On sait qu'à la bataille d'Austerlitz,
un officier français, renversé par les Russes et menacé de vingt bayonnettes,
ayant fait le signe de détresse, fut arraché à la mort par un officier ennemi
qui eut pour lui les procédés les plus généreux.
Un de nos maréchaux, traversant un
champ de bataille, remarqua le signe que lui faisait un blessé ennemi, et lui envoya de suite sa voiture et un
chirurgien.
L'auteur de cet article a été témoin
du fait suivant : un vaisseau de la marine royale anglaise faisait voile vers les côtes de Bretagne, chargé de
prisonniers français, que la paix de 1814 ramenait, après un long exil, dans leur pays. Parmi ces prisonniers était
un maçon. A peine eut-il été reconnu pour tel par un officier du bord, qu'il fut tiré de l'étroit espace où étaient entassés les passagers. Cet Anglais le logea près de
lui, le reçut à sa table, et le combla de soins et d'égards.
Clavel raconte (p.
282)
cette incroyable histoire dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes
et en donne même (à la page
suivante) une spectaculaire illustration (dont on connaît une version
américaine en 1890) :
Ce n’est pas seulement parmi les peuples civilisés que la franc-maçonnerie
inspire de pareils dévouements ; elle agit aussi, avec non moins de force, sur l’âme même des sauvages. Pendant la guerre des Anglais et des Américains, le
capitaine Mac-Kinsty, du régiment des États-Unis commandé par le colonel Paterson, fut blessé deux fois et fait prisonnier par les Iroquois à la bataille des
Cèdres, à trente milles au-delà de Montréal, sur le Saint-Laurent. Son intrépidité comme officier de partisans avait excité les terreurs et le
ressentiment des Indiens, auxiliaires des Anglais, qui étaient déterminés à lui
donner la mort et à le dévorer ensuite. Déjà la victime était liée à un arbre et
environnée de broussailles qui allaient devenir son bûcher. L’espérance l’avait
abandonné. Dans l’égarement du désespoir, et sans se rendre compte de ce qu’il faisait, le capitaine proféra ce mystique appel dernière ressource des
maçons en danger. Alors, comme si le ciel fût intervenu entre lui et ses bourreaux, le guerrier Brandt, qui commandait les sauvages, le comprit et le
sauva. Cet Indien, élevé en Europe, y avait été initié aux mystères de la francmaçonnerie.
Le lien moral qui l’unissait à un frère fut plus fort que la haine de la race blanche, pour laquelle pourtant il avait renoncé aux douceurs et aux
charmes de la vie civilisée. Il le protégea contre la fureur des siens, le conduisit lui-même à Québec, et le remit entre les mains des maçons anglais,
pour qu’ils le fissent parvenir sain et sauf aux avant-postes américains. Le capitaine Mac-Kinsty devint plus tard général dans l’armée des États-Unis. Il
est mort en 1822.
Les Américains ont aussi leurs histoires édifiantes, comme celle du
capitaine maçon (nordiste) Bingham portant secours au général maçon
(sudiste) Armistead, mortellement blessé à la bataille de Gettysburg lors de
la Guerre de Sécession, épisode commémoré par le Friend to Friend Masonic
Memorial, monument
érigé en 1993 au cimetière national de Gettysburg par la Grande Loge de
Pennsylvanie.
On trouve encore
de nombreux exemples, tous relatifs à la bataille de Waterloo, aux pp. 50 à 56
du Tome
II des Annales chronologiques, littéraires et historiques de
la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 de Wargny, qui
déclare pouvoir en garantir l'exacte réalité.
On trouvera encore
d'autres exemples ici,
ici
et ici.
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