Cantique du Frère Cabouret

 

Ce court cantique du Frère Cabouret figure (sans mention d'air) à la page 41 du chansonnier de la Paix Immortelle.

Le fichier Bossu donne un Jean-Etienne Cabouret, né à Antony, cultivateur résidant à la Salpétrière, Maître, comme membre de la Paix immortelle en 1805 (après l'avoir été vers 1801 de la loge St Paul et St Eparche). Il figure effectivement avec ces données au Tableau de la loge pour 1805, qui précise qu'il en est un des (nombreux) fondateurs.

Le Frère Cabouret est aussi l'auteur du couplet pour la 6e Santé du Banquet consécutif à la Fête du Vénérable Frère Lafon, le 27 juillet 1809 à cette même loge.

Cette chanson est un des multiples exemples (peut-être réels, peut-être imaginaires : voir ci-dessous) de récits de combattants sauvés de la mort par l'usage du signe de détresse maçonnique. Mais son originalité est d'attribuer à cette pratique une ancienneté respectable, en en fournissant une illustration remontant aux premières décennies du développement de la maçonnerie européenne, et qui concerne de surcroît deux maçons relevant des deux nations héréditairement ennemies qui se trouvent être (vu de France) les deux pôles de ce développement : la bataille de Fontenoy opposa en 1745 les armées commandées par le duc William de Cumberland du côté anglais et le maréchal de Saxe du côté français. Une anecdote relative à la même bataille est rapportée par Quentin, mais en sens inverse : au lieu que chez Cabouret ce soit un Anglais qui protège un Français, chez Quentin ce sont des Français qui sauvent des Anglais. Ces discordances ne plaident évidemment pas pour l'authenticité du fait.

Il n'y a pas d'air indiqué.

cantique 

du Frère Cabouret.

 

Louis lançant son tonnerre
Dans les champs de Fontenoi,
Un anglais poursuit à terre
Un de nos gardes du roi :
Prêt à subir sa colère,
Un signal suspend son bras.
Ah ! dit-il, c'est un Frère,
Il ne périra pas.

Dans les errata en fin de volume, il est mentionné que Fontenoi doit être remplacé par Fontenoy.

A moi ...

La littérature maçonnique du XIXe - et particulièrement pendant la période des guerres napoléoniennes - est remplie d'anecdotes, généralement présentées comme absolument historiques, sur l'usage salvateur du signe de détresse maçonnique permettant sur les champs de bataille à des militaires blessés (ou en posture désespérée) d'échapper à une menace mortelle.

On en trouvera plus bas un grand nombre d'exemples.

En chansons

Ce thème est évidemment présent aussi dans le chansonnier maçonnique ; c'est le cas (mais sans référence à des faits précis) ici, ici ou ici. Ici et ici au contraire, on spécifie comme cadre, à l'instar de Quentin et de César Moreau, la bataille d'Austerlitz.

Le présent site mentionne également une anecdote (celle-là présentée comme historique) concernant l'auteur d'un cantique, le Frère Plasschaert.

Wishful thinking ?

Mais s'agit-il de faits réels et avérés, ou de légendes forgées à la gloire de la maçonnerie ? Il n'est pas illégitime de poser la question ...

Dans son (très anti-maçonnique) ouvrage publié en 1913, L'idée de patrie et l'humanitarisme : essai d'histoire française, 1866-1901, Georges Goyau donne (p. 43) un avis évidemment partial mais certainement pas totalement infondé :

Les cantiques qu’on entonnait, les pièces d’architecture qu’on lisait, rendaient volontiers hommage au « signe de détresse » maçonnique et aux curieux avantages qu’il offrirait en temps de guerre. On collectionnait à ce sujet les anecdotes : on promenait, de loge en loge, l’histoire du peintre David faisant le signe de détresse, à Rome, à l’officier autrichien chargé de l’arrêter, et obtenant ainsi son salut ; l’aventure de Blücher à Waterloo, faisant cesser le feu contre un bataillon dont le commandant était maçon ; la double bonne fortune du frère Gérard, vénérable du Globe, deux fois sauvé, sous le premier Empire, à Madrid et à Augsbourg, parce que l’ennemi l’avait reconnu maçon. Les plus lettrés pouvaient mettre à l’épreuve la sensiblerie des « louveteaux » en leur faisant admirer un poème maçonnique de César Moreau sur la bataille d’Austerlitz, où détresse rime tout naturellement avec tendresse, et où l’on voit un Français et un Russe, sous les auspices du signe mystérieux, cesser leurs réciproques menaces, et échanger entre eux les sermens répétés d’une amitié constante.

Quelques exemples dans la littérature

Selon l'article de Louis-Théodore Juge La bataille de Waterloo, paru aux pp. 51-55 du Tome premier du Globe, son père Antoine Juge se signala au cours de ladite bataille en sauvant la vie d'un officier prussien désarmé qui avait fait le signe de détresse maçonnique.

Quentin, dans son Dictionnaire maçonnique, donne (pp. 144 ss.) lui aussi des exemples :

A la bataille de Fontenoy, au moment où la colonne anglaise venait d'être entr'ouverte par l'artillerie, et que la cavalerie française y portait le désordre et la mort, on entendit crier à la trahison. Plusieurs officiers de la maison du roi qui s'étaient jetés avec toute l'ardeur produite par une longue résistance sur les Anglais, avaient tout d'un coup fait volte face, et, couvrant de leur corps un groupe d'officiers ennemis, les défendaient obstinément contre leurs compatriotes. Le roi et le dauphin qui étaient demeurés sur le champ de bataille s'étant approchés demandèrent la cause des cris qu'ils avaient entendus. Ce sont des maçons français qui défendent des maçons anglais, leur répondit-on. Le roi ne voulut point que le fer rompît un nœud aussi tendre. Les maçons anglais furent sauvés. 

On sait qu'à la bataille d'Austerlitz, un officier français, renversé par les Russes et menacé de vingt bayonnettes, ayant fait le signe de détresse, fut arraché à la mort par un officier ennemi qui eut pour lui les procédés les plus généreux. 

Un de nos maréchaux, traversant un champ de bataille, remarqua le signe que lui faisait un blessé ennemi, et lui envoya de suite sa voiture et un chirurgien.

L'auteur de cet article a été témoin du fait suivant : un vaisseau de la marine royale anglaise faisait voile vers les côtes de Bretagne, chargé de prisonniers français, que la paix de 1814 ramenait, après un long exil, dans leur pays. Parmi ces prisonniers était un maçon. A peine eut-il été reconnu pour tel par un officier du bord, qu'il fut tiré de l'étroit espace où étaient entassés les passagers. Cet Anglais le logea près de lui, le reçut à sa table, et le combla de soins et d'égards. 

Clavel raconte (p. 282) cette incroyable histoire dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes et en donne même (à la page suivante) une spectaculaire illustration (dont on connaît une version américaine en 1890) :

Ce n’est pas seulement parmi les peuples civilisés que la franc-maçonnerie inspire de pareils dévouements ; elle agit aussi, avec non moins de force, sur l’âme même des sauvages. Pendant la guerre des Anglais et des Américains, le capitaine Mac-Kinsty, du régiment des États-Unis commandé par le colonel Paterson, fut blessé deux fois et fait prisonnier par les Iroquois à la bataille des Cèdres, à trente milles au-delà de Montréal, sur le Saint-Laurent. Son intrépidité comme officier de partisans avait excité les terreurs et le ressentiment des Indiens, auxiliaires des Anglais, qui étaient déterminés à lui donner la mort et à le dévorer ensuite. Déjà la victime était liée à un arbre et environnée de broussailles qui allaient devenir son bûcher. L’espérance l’avait abandonné. Dans l’égarement du désespoir, et sans se rendre compte de ce qu’il faisait, le capitaine proféra ce mystique appel dernière ressource des maçons en danger. Alors, comme si le ciel fût intervenu entre lui et ses bourreaux, le guerrier Brandt, qui commandait les sauvages, le comprit et le sauva. Cet Indien, élevé en Europe, y avait été initié aux mystères de la francmaçonnerie. Le lien moral qui l’unissait à un frère fut plus fort que la haine de la race blanche, pour laquelle pourtant il avait renoncé aux douceurs et aux charmes de la vie civilisée. Il le protégea contre la fureur des siens, le conduisit lui-même à Québec, et le remit entre les mains des maçons anglais, pour qu’ils le fissent parvenir sain et sauf aux avant-postes américains. Le capitaine Mac-Kinsty devint plus tard général dans l’armée des États-Unis. Il est mort en 1822.

Les Américains ont aussi leurs histoires édifiantes, comme celle du capitaine maçon (nordiste) Bingham portant secours au général maçon (sudiste) Armistead, mortellement blessé à la bataille de Gettysburg lors de la Guerre de Sécession, épisode commémoré par le Friend to Friend Masonic Memorial, monument érigé en 1993 au cimetière national de Gettysburg par la Grande Loge de Pennsylvanie.

On trouve encore de nombreux exemples, tous relatifs à la bataille de Waterloo, aux pp. 50 à 56 du Tome II des Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 de Wargny, qui déclare pouvoir en garantir l'exacte réalité.

On trouvera encore d'autres exemples ici, ici et ici.

Retour au sommaire de la Paix Immortelle :