Couplets chantés au Banquet Solsticial de la Persévérance (1846)

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La Persévérance était une Loge anversoise.

   

      

                                                    

La chanson dont le texte est reproduit ci-dessus, figure à la feuille ci-dessous.

Voir ici sur l'air mentionné, Te souviens-tu, disait un capitaine.

L'occasion de ce banquet était le Baptême maçonnique de deux Luwtons, parmi lesquels manifestement (cfr. dernier couplet) le fils du Frère Lippens.

Lowton  

Dès le XVIIIe, Lowton (avec des orthographes très variées comme Luwton, Lufton, Lofton, ...) veut dire louveteau ou fils de maçon.

Dans le document exhumé par Luquet (qui pourrait remonter à 1745) et commenté ici par Bernheim, on peut lire :

  • Quel est le nom du fils d'un maçon de théorie ?
  • Louveton, prononcé Lovveton, qui signifie élève en architecture

Dans le Recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite de 1787, on peut lire :

D- » Comment s'appelle un fils de maçon?
R. » Lowton, mot anglais, qui signifie élève en architecture.
D- » Quel est le privilège d'un Lowton?
R. » C'est d'être reçu maçon avant tout autre.

Dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes (p. 40), Bègue-Clavel donne une explication aussi alambiquée que fantaisiste :

Un louveteau est un fils de maçon. Ce nom, qu'on dénature généralement, dont on fait tour à tour lofton, loweton, loveton, loveson, parce qu'on en a perdu l'étymologie, est d'origine fort ancienne. Les initiés aux mystères d'Isis portaient, même en public, un masque en forme de tête de chacal ou de loup doré ; aussi disait-on d'un isiade : « c'est un chacal » ou « c'est un loup. » Le fils d'un initié était qualifié de jeune loup, de louveteau. Macrobe nous apprend à ce sujet que les anciens avaient aperçu un rapport entre le loup et le soleil, que l'initié représentait dans le cérémonial de sa réception. « En effet, disaient-ils, à l'approche du loup, les troupeaux fuient et disparaissent : de même les constellations, qui sont des troupeaux d'étoiles, disparaissent devant la lumière du soleil. » C'est pour une semblable raison que les compagnons du devoir dits les enfants de Salomon et les compagnons étrangers se donnent aussi la qualification de loups.

Très curieusement, on peut trouver aussi le mot Luis - qui ressemble à Lewis - pour petit-fils de maçon (source : l'ouvrage de Jacques Castagné, la Franc-maçonnerie d'Albi, p. 121). 

Le Baptême maçonnique était une cérémonie très en vogue au XIXe : une description en est donnée dans le tome 2 (p. 139) de l'Histoire des Francs-Maçons de J.-P. Dubreuil (Bruxelles, 1838) ; une autre dans un article du Soleil mystique (voir à une autre page de ce site).

Le Nouveau Recueil de Cantiques, Hymnes et Chansons maçonniques d'Orcel (Lyon, 1867) contient deux textes de Marconnis de Nègre destinés aux Baptêmes maçonniques, aux pp. 29-30 et 31-2 et un Cantique pour une Fête de Baptême d'Orcel lui-même aux pp. 32-5.

Une telle cérémonie concernait (cfr. détails ci-contre des illustrations ci-dessous) des nourrissons ou de jeunes enfants.

Ces gravures publiées respectivement par les revues l'Illustration et Le Monde Illustré témoignent du caractère d'événement mondain de telles cérémonies. Voici un extrait de l'article de l'Illustration :

Baptêmes dans les Loges parisiennes de (à droite) la Persévérante Amitié en 1861 (30 enfants, 800 invités, 300 ... becs de gaz ; la cérémonie fut suivie d'un bal) et (ci-dessous) la Clémente Amitié

 

 

 

Si l'on en croit le même Dubreuil (p. 146 cette fois), les enfants ainsi baptisés pouvaient être confirmés à partir de 17 ans, dans une cérémonie spéciale qu'il décrit et qui semble très proche de la cérémonie classique d'Initiation, tout comme celle (sans doute la première du genre) de Confirmation d'un louveton proposée par Riebesthal en 1826. Il existait aussi une cérémonie de Protectorat maçonnique, que François Favre décrit dans un chapitre de ses Documents maçonniques

Ces usages, qui rappellent par trop les sacrements de l'Eglise (on était à l'époque au plein de la crise entre celle-ci et la maçonnerie belge), ce qui a été fort critiqué, ont, sauf erreur, complètement disparu. D'après une page de ce site, il semble bien qu'en fin de XIXe déjà avait fait son chemin l'idée qu'il serait illogique de baptiser avant l'âge de raison.

De nos jours, certaines Loges pratiquent plutôt, vis-à-vis généralement d'adolescents, une cérémonie dite d'Adoption, qui est simplement une présentation, aux enfants de maçons, des idéaux maçonniques et une confirmation, vis-à-vis du jeune, des engagements d'assistance (engagements qui existent de toute manière, même si aucune cérémonie ne vient les acter) qu'a la Loge de son père ou de sa mère envers lui si ce parent venait à disparaître avant d'avoir pu achever son éducation.

Par ailleurs, le texte du Frère Lippens est riche d'allusions difficilement compréhensibles sans connaître quelques éléments biographiques sur lui - ce qui n'est pas notre cas.

L'allusion au hochet de 40.000 francs sorti du chapeau tristement célèbre de Son Eminence est peut-être à mettre en relation avec le fait (ou un autre analogue) rapporté avec indignation en août 1838 par Les Euménides dans leur 94e livraison en note de bas de page du furieux poème (p. 352) Quarante-cinq mille francs à Stercus (i. e. l'archevêque Sterckx, qui venait de s'illustrer par sa condamnation de la maçonnerie et - en récompense ? - de recevoir son chapeau de cardinal) : 

Par arrêté spécial, une somme de 45,000 francs a été allouée à Monseigneur l'archevêque de Malines, pour les frais de son voyage à Rome, et tous les autres frais qu'entraînera son élévation à la dignité de cardinal. — Le traitement du prélat est, par le même arrêté, porté à 35,000 francs.

Ce document provient du Fonds Stevens de la Bibliothèque Nationale de Belgique, où il a été retrouvé, au cours de son exploration de ce fonds, par Ben G., qui nous l'a aimablement communiqué. Merci à lui.

Le Fonds Stevens

A la mort de Stevens, sa bibliothèque a été dispersée mais une grande quantité de documents ont été remis à la Bibliothèque Nationale de Belgique. Ce fonds Stevens est composé de 57 volumes de brochures diverses, y compris quelques documents manuscrits, la plupart relatifs à la vie politique belge dans la première moitié du XIXe siècle, mais parfois aussi à la franc-maçonnerie.

Comme en témoigne l'inscription ci-dessous, le qualifiant de Grand Maître du Rit Ecossais, c'est au titre de Souverain Grand Commandeur qu'il fut invité à la cérémonie mentionnée ici.

A titre anecdotique, on mentionnera également que le Banquet Solsticial en question fut bien conforme aux pantagruéliques traditions gastronomiques bourgeoises de l'époque :

Mais attention ! Une telle abondance n'est peut-être pas aussi anormale qu'il y paraît, s'il s'agissait d'un repas servi à la française !

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