Un signe au nautonnier Caron

(visa pour les Enfers ?)

 Cliquez ici (midi) ou ici (MP3) pour entendre l'air

 

Ce Cantique de Clôture figure à la p. 179 du recueil d'Orcel de 1867.

L'air dit ici d'Henri IV est naturellement le célèbre Vive Henry quatre, dont on voit d'ailleurs que la métrique correspond.

Le nauto[n]nier Caron est évidemment le personnage mythologique plus souvent appelé Charon.

L'appartenance à la maçonnerie constituerait-elle un privilège permettant, avec la complicité de Charon, de traverser le Styx et l'Achéron en faisant l'économie de la traditionnelle obole ? Cette idée trouve peut-être sa source dans ce couplet d'un cantique de Jacquelin :

Lorsque pour passer l'onde noire 
Nous verrons la barque à Caron, 
Mes amis, voulez-vous m'en croire ? 
Il faut le recevoir Maçon. 
Si quelqu'un de la Confrérie 
Mourrait sans avoir un denier,
 Du moins il quitterait la vie 
Sans craindre un nouveau créancier.

  clôture

 

Air d'Henri IV

Si, dans la barque
Du nautonnier Caron,
Le sort t'embarque,
Tu lui diras.....: Patron,
A cette marque
Reconnais un Maçon.

On trouvait le même texte, sous le titre Réflexions - et avec la même représentation d'une équerre - à la colonne 448 de L'Univers maçonnique :

Cette équerre, qui suit directement les mots à cette marque, signifie qu'à ce moment il convient que les chanteurs fassent le signe d'Apprenti.  

Et pour qui en douterait, nous en avons trouvé confirmation à l'ouvrage (paru à Paris en 1825) intitulé Vade-mecum maçonnique pour les trois premiers degrés du rite écossais ancien et accepté par un ex-vénérable de la loge écossaise

L'ouvrage contient (p. 32) une édition de la chanson, qui est plus ancienne que les précédentes. 

Il consacre ses pp. 30-32 à la Clôture des Travaux de table. La description de ce Rituel est conforme à l'usage traditionnel, tel que rapporté ici (avec le traditionnel Cantique de Clôture).

Mais il s'y ajoute un épisode, où intervient la chanson, qui est ici à la première personne, et qui est complétée par 4 vers (sur un air connu, utilisé ici par exemple).

Il est ainsi décrit :

Le cantique fini, le Vénérable commande les armes. Après cela, il dit : Frère premier Surveillant, quel âge avez-vous ?

R. Trois ans, Vénérable.
D. A quelle heure sommes-nous dans l’usage de fermer nos travaux ?
R. A minuit.
D. Quelle heure est-il, Frère second
Surveillant ?
R. Minuit.

Alors le Vénérable donne à ses voisins le baiser fraternel et un mot d’ordre qui, après avoir passé sur les colonnes, lui est enfin rapporté par le Maître des cérémonies. Pendant que le mot circule, on chante :

Cantique de passe

Si dans la barque
Du nautonier Caron,
Le sort m'embarque,
Je lui dirai : Patron,
A cette marque (
on fait le signe)
Reconnais un Maçon.

Aimons, aimons-nous,
Quel sentiment est plus tendre !
Aimons, aimons-nous,
Est-il un plaisir plus doux !

Le mot revenu au Vénérable, il frappe un coup et dit : mes Frères, les travaux sont fermés.

Les Surveillants répètent l’annonce. Chacun se retire.

Dans le Manuel Général de la Maçonnerie de Teissier (1856), on trouve également (p. 33) ces 6 vers, qui ici accompagnent la circulation du baiser fraternel faisant partie du rite de clôture.

Dans son Rituel de l'apprenti maçon, Ragon mentionne (p. 85) que autrefois dans beaucoup de Loges le couplet accompagnait la circulation du baiser de paix, et il mentionne un usage complémentaire : au moment de chanter Reconnais un Maçon, on frappe trois coups sur l'épaule et on s'embrasse.

Mais nous avons encore trouvé, dans deux loges parisiennes qui se connaissaient bien, deux témoignages encore plus anciens de cet usage : 

Si dans la barque
Du nautonnier Caron,
Le sort m'embarque,
Je lui dirai : Patron,
A cette marque
Reconnais un Maçon.

chanté sur l'air Vive Henry quatre pendant la circulation du mot du jour, pendant la clôture des Travaux.

Si, dans la barque
Du nautonnier Caron,
Le sort t'embarque,
Tu lui diras : .... patron,
A cette marque
Reconnais un Maçon.

Une version un peu différente se trouve (p. 3) en 1820 au recueil de Gentil, le Banquet maçonnique, avec la même mention d'air Vive Henry quatre ! et sous le titre Couplet d'obligation :

Une version encore plus ancienne (et riche en fautes d'orthographe) figure, sans titre ni mention d'air, au n° 12 de ce carnet manuscrit qui semble dater des toutes premières années du XIXe :

Si dans la barque
Du nautonnier Caron,
Jamais je m'embarque,
Je dirai au patron,
A cette marque
Reconnais un Maçon.

Ces nombreux témoignages montrent bien que l'usage de chanter ce cantique de passe devait être fort répandu, au moins pendant plusieurs décennies du XIXe siècle. A notre connaissance, il a complètement disparu, sans laisser la moindre trace (merci à qui pourrait nous citer un exemple montrant que ce n'est pas le cas).

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