Cantique pour un Banquet de la Saint-Jean

 

Ce Cantique pour un Banquet de la Saint-Jean, dont l'auteur est le Frère C.-V. Monin, figure à la p. 38 du recueil d'Orcel de 1867.

Aucun air n'est mentionné : peut-être une partition originale avait-elle été écrite ?

CANTIQUE

Pour un Banquet de la Saint-Jean

   

 Francs Compagnons de la Maçonnerie,
Notre loi sainte unit le genre humain :
Le monde entier, voilà notre patrie,
Partout au frère un frère tend la main.

 

A ses devoirs, en tout, partout fidèle,
Ami de l'ordre et de l'humanité ;
Le franc-maçon doit être un vrai modèle
De fermeté, d'honneur et de bonté.

 

C'est aujourd'hui la féte de famille
A tout maçon le banquet est ouvert,
L'amitié, l'âme et la joie y pétille,
La bienfaisance y trouve son couvert.

 

Grand architecte, ô source de lumières,
Dans l'univers fais triompher nos lois :
Du genre humain fais un peuple de frères ;
A nos banquets fais asseoir tous les rois.

 

Dans les banquets faut-il vider son verre,
Au feu jamais il ne s'est compromis ;
Dans les combats faut-il sauver un frère,
Le franc-maçon ne voit plus d'ennemis.

                                  C.-V. Monin

Mais cette chanson figurait déjà (colonne 493) au n° 3 du périodique L'Univers maçonnique, sous le titre Cantique pour un bouquet (sic !) de la Saint-Jean par le Frère C.-V. Monin et avec la mention air à faire. Les 5 couplets sont ici dans un ordre différent et suivis d'un 6e qui n'est que la reprise du premier.  

Mais le cantique est encore plus ancien que ces deux éditions, qui sont d'ailleurs incomplètes : il figure en effet déjà au Procès-verbal de la Fête d'Ordre du 24 janvier 1828 de la Loge chapitrale parisienne de la Bonne-Union. Nous ne disposons malheureusement que d'une copie très partielle de ce document, où ne figure que la première partie (reproduite ci-dessous) du cantique. On voit que cette seule partie comprend déjà 10 couplets et demi, dont (dans un autre ordre) 4 des 5 ci-dessus. On remarque que le septième couplet recopie le premier.

Nous ne savons pas grand'chose de cette Loge, sinon qu'en furent Vénérables, d'une part Etienne-François Bazot et d'autre part un nommé Ch. Roblot, auteur en 1843 d'une brochure Au profit des victimes de la Guadeloupe (il s'agit du Tremblement de terre des Petites Antilles qui a détruit Pointe-à-Pitre).

Charles Vincent Monin (... - 1880) était un géographe, cartographe et éditeur français, dont les ateliers de Paris et de Caen ont produit, entre 1830 et 1880, notamment trois atlas importants. Il a été l'un des premiers cartographes en Europe à tirer profit de la découverte de la lithographie. 

Il ne peut s'agir que du Vincent Monin, géographe, que le fichier Bossu mentionne comme Maître des Cérémonies, en 1828, de la Bonne-Union, ayant précisément participé par des lectures à la susdite Fête d'Ordre, et qui est donc l'auteur de notre cantique.

On trouve une autre chanson du Frère Monin, la Fraternité, à la suite de celle-ci (colonne 495) dans L'Univers maçonnique et aussi au recueil d'Orcel (pp. 132-133).

           

CANTIQUE

 

Chanté par le Frère Monin,

   En présence de la députation de la Respectable Loge de Henri lV.

 

 Francs compagnons de la Maçonnerie,
Notre loi sainte unit le genre humain :
Le monde entier, voilà notre patrie,
Partout au frère un frère tend la main.

 A ses devoirs, en tout, partout fidèle,
Ami de l'ordre et de l'humanité,
Le franc-maçon doit être un vrai modèle
De fermeté, d'honneur et de bonté.

 Dans les banquets faut-il vider son verre,
Au feu jamais il ne s'est compromis ;
Dans les combats faut-il sauver un frère,
Le Franc-Maçon ne voit plus d'ennemis.

Grand Architecte ! ô source de lumière !
Dans l'univers, fais triompher nos lois ;
Du genre humain fais un peuple de frères,
A nos banquets fais asseoir tous les rois.

Que la sottise à la face bouffie,
An regard louche, au maintien suffisant,
L'intolérance armant l'hypocrisie,
Soient contre nous ligués avec Satan.

Le souffle impur de cette race immonde
Peut-il du ciel obscurcir le flambeau ?
Bravons ses coups, sous les débris du monde
Le temps peut seul creuser notre tombeau.

 Francs compagnons de la Maçonnerie,
Notre loi sainte unit le genre humain ;
Le monde entier, voilà notre patrie,
Partout au frère un frère tend la main.

 Ami du peuple et de la tolérance,
Le grand Henri, franc modèle des preux,
De l'union fit goûter à la France
Les doux bienfaits, objets de tous nos vœux.

Ne sait-on plus par quel affreux mystère
Fut dirigé le coup qui l'immola ?
Quand le pays qui pleure encor son père
Voit triompher les fils de Loyola,

Ces noirs enfans du ténébreux empire,
Ces ennemis de toute liberté,
Pour dominer s'efforcent de détruire
Du temple saint l'éternelle clarté.

Au Vatican, quoi ! de sa foudre usée,
Un prêtre va nous frapper sans retour !
...

 On note dans ce texte l'hommage à Henri IV, personnage très en honneur sous la Restauration (on voit qu'une Loge, fondée en 1817 et présente ce jour-là, porte même son nom) et ici vanté pour sa tolérance. Monin oppose celle-ci au jésuitisme, qu'il condamne avec virulence : c'est en France une des premières manifestations de ce thème, qui deviendra quasi-obsessionnel par la suite, et qu'à l'époque on rencontre également dans la Belgique (à ce moment hollandaise).

Les foudres vaticanes

On note également la critique contre les condamnations papales et les foudres vaticanes, qui deviendra aussi un thème récurrent dans les décennies suivantes. On le trouvait déjà en 1818 à Bruges :

On vit parfois au Vatican
Etinceler la foudre ;
C'est vainement que ce volcan
Veut nous réduire en poudre

tandis que, en 1828 également, on chantait à Caen :

Contre nous Rome a conjuré l'orage 

(NB : conjurer doit être pris ici, non dans le sens de détourner, mais dans celui - quelque peu vieilli - de projeter par complot, comme dans l'expression conjurer la ruine de quelqu'un).

En 1839, Verhaegen, Premier Grand Surveillant du Grand Orient de Belgique, proclamait dans un discours à Tournai que les foudres du Vatican resteront impuissantes contre une institution qui n’a d’autre base que la morale et la bienfaisance.

Le Frère Defrenne, lui, chantait à Bruxelles en 1840 :

Le Vatican a beau, dans ses fureurs,
Déchaîner contre lui, ses foudres, son tonnerre,
Armé de la raison, du compas, de l'équerre,
Il [le franc-maçon] a pitié d'injustes agresseurs.

et à Tournai en 1841 :

Pour nous diviser, nous détruire,
Le fanatisme en vain conspire,
Et multiplie ses efforts ;
Qu'importent les foudres de Rome ?

Mais en 1866, au Mans, on préfère en rire :

Nos ennemis, les pasteurs de l'Eglise
Sont restés seuls ... et contrits.
Du Vatican, si la foudre s'élance
Des ris moqueurs remplacent la Terreur 

cependant qu'à Paris le chansonnier Lachambeaudie adopte le même ton :

Pape, ta foudre est un pétard.
Mes Sœurs, riez, riez, riez :
Nous sommes excommuniés.

Les citations de cet encadré sont reprises de l'article Maçonnerie et anticléricalisme en chansons, paru en 2019 dans le n° 113 de la revue La Pensée et les Hommes.

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