LORTZING (Gustave-Albert), compositeur dramatique, acteur et chef d'orchestre, né
à Berlin, le 23 octobre 1803, était fils de Jean-Gottlob, marchand de cuir dans celte ville. Sa
mère, Charlotte-Sophie, née Seidel, qui, dans sa jeunesse, était agréable et spirituelle, aimait à
jouer la comédie dans une société d'amateurs avec son mari. Le théâtre où se donnaient les représentations de cette société s'appelait
Uranie. Ce fut là que se passèrent les premières années du jeune Lortzing, et qu'il prit le goût de la scène.
Admis à l'Académie royale de chant de Berlin, il y reçut de Rungenhagen les premières leçons de
musique, et fit de rapides progrès sous la direction de ce maître. Lortzing n'était âgé que de
neuf ans lorsque ses parents, renonçant au commerce, et s'abandonnant à leur passion pour la
comédie, quittèrent Berlin, et acceptèrent un engagement au théâtre de Breslau. Dans la suite, ils
jouèrent à Bamberg, Aschaffenbourg, Strasbourg, Fribourg en Brisgau, Bade, Coblence, Cologne et
Aix-la-Chapeile, où leur fils remplissait les rôles d'enfant, pendant qu'il continuait ses études de
musique. Il apprit à jouer du piano, du violon, du violoncelle, et la lecture des ouvrages d'Albrechtsberger et d'autres traités didactiques lui enseigna
les éléments de la composition. Dans les années 1819 à 1822, Lortzing fut attaché au théâtre de
Dusseldorf en qualité de ténor pour les rôles comiques : ses premiers essais de composition furent faits à la même époque. Sa voix ayant acquis
du développement, il fut engagé par le directeur de spectacle Ringelhardt, en 1823, pour les rôles de
premier ténor, et joua sous sa direction à Cologne et à Brunswick. Ce fut dans cette même
année qu'il épousa Mlle Ahles, actrice de talent. En 1824 il écrivit son premier opéra,
Ali, pacha de Janina, qui fut joué avec succès à Cologne, puis à Detmold,
Münster, Osnabrück et Pyrmont, dont la direction théâtrale engagea Lortzing et sa femme en 1826. Puis ils jouèrent à
Hambourg, retournèrent à Cologne en 1829, et enfin ils furent attachés au théâtre de la cour
de Manheim en 1830. Lortzing y écrivit en 1832 deux petits ouvrages dramatiques, intitulés
Le Polonais et son Enfant, et Une Scène de la vie de Mozart. Dans l'année suivante, Ringelhardt, qui venait de se charger de la direction du théâtre de Leipsick, engagea Lortzing
pour y remplir les rôles de premier ténor des opéras-comiques. Alors commença la période la
plus heureuse de la vie de l'artiste : elle s'étend depuis 1833 jusqu'en 1844 ; ce fut aussi celle de
sa plus grande activité dans les travaux de la composition dramatique. Le premier ouvrage
qu'il écrivit à Leipsick avait pour titre : Die beiden Tornister (Les deux Militaires), auquel on substitua plus tard celui de
Die beiden Schützen (Les deux Tirailleurs) ; le sujet était pris du vaudeville français Les deux
Grenadiers. Cet opéra fut représenté à Leipsick le 20 février 1837 ; il obtint un brillant succès. Dans la même année
(le 22 décembre), Lortzing fit représenter au même théâtre Czar und Zimmermann
(Le Czar et le Charpentier), opéra en trois actes, considéré comme son œuvre capitale, et qui obtint un succès égal dans toutes les villes de l'Allemage, ainsi
qu'en Russie et en Danemark. Lortzing écrivit ensuite Die Schatzkammer des Inka (Le Trésor
de l'Inca), opéra sérieux, sur un livret de Robert Blum ; mais cet ouvrage ne fut pas représenté, et,
par une circonstance inconnue, la partition n'a pas été retrouvée dans les papiers du compositeur.
Le 20 septembre 1839, Lortzing fit jouer la première représentation de Caramo, ou Le
Harponnage, opéra romantique, qui fut froidement accueilli par les habitants de Leipsick, à cause du défaut d'intérêt du sujet ; mais le brillant succès de
Hans Sachs, joué le 23 juin 1840, vint consoler le compositeur d'un échec qui d'ailleurs n'avait
rien de blessant pour son amour propre. Hans Sachs avait été écrit par Lortzing pour fêter le
quatrième anniversaire séculaire de l'introduction de l'imprimerie à Leipsick : les mélodies de cet
ouvrage sont d'une remarquable fraîcheur. Casanova, joué le 31 décembre 1841, et
Wildschütz, oder die Stimme der Natur (L'Arquebusier, ou la Voix de la Nature), d'après le
Rehbock de Kotzebue, et qui fut représenté le 31 décembre de l'année suivante, achevèrent de
répandre dans toute l'Allemagne la réputation de Lortzing : tous les directeurs de théâtre s'empressaient de mettre ses ouvrages en scène, et ses
partitions, arrangées pour le piano, étaient recherchées par les amateurs.
Au commencement de 1844, Ringelhardt cessa
d'avoir la direction du théâtre de la ville de Leipsick (Stadttheater), laquelle passa entre les
mains du docteur Schmidt. Ce fut alors que Lortzing cessa de paraître sur la scène, et qu'il
accepta la position de chef d'orchestre du même théâtre. Il en prit possession le 1er août de
cette même année : le premier ouvrage qu'il dirigea fut le Don Juan. Dans le même temps
il écrivit Undine, opéra qui fut représenté à Hambourg dans l'hiver de 1845, puis à Leipsick
et sur les principaux théâtres de l'Allemagne. Peu de temps après, Lortzing contracta un
engagement avec l'entrepreneur Pockorni pour diriger, dans la capitale de l'Autriche, l'orchestre
du théâtre sur la Vienne, et pour y mettre en scène son nouvel opéra
Der Waffenschmid (L'Armurier), qui fut joué le 30 mai 1846, sous la direction de l'auteur. Autant la ville de
Vienne lui offrait d'agrément pour les habitudes de la vie, autant il en avait peu dans ses rapports
avec son théâtre. Ses lettres à ses amis sont remplies de plaintes concernant le défaut d'ordre
et de convenance des représentations, ainsi que sur la pauvreté du répertoire. La perte de sa mère
vint à cette époque ajouter un vif chagrin aux ennuis que lui faisait éprouver sa situation comme
chef d'orciiestre d'un théâtre mal organisé. Pendant son séjour à Vienne, il écrivit son opéra
en trois actes, Le grand Amiral, qui fut mis en scène à Leipsick, au mois de décembre 1847,
et un autre ouvrage intitulé Regina, que des considérations politiques ne permirent pas de
représenter, et dont on a retrouvé la partition parmi les manuscrits de l'auteur. Dans l'hiver
de 1848 à 1849 il composa son opéra Die Rolandsknappen (Les Écuyers de Roland), qui fut
représenté au théâtre de Leipsick, à la fin de mai 1849, et accueilli par des applaudissements unanimes. Cependant un chagrin inattendu vint le frapper dans
cette ville, après son retour de Vienne. Il désirait y reprendre son ancienne position de chef
d'orchestre du théâtre, devenue vacante ; mais pendant son absence de quelques années, Rietz s'était fait connaître avantageusement par son talent
pour la direction des orchestres : ce fut lui qu'on préféra. Lortzing en eut une véritable affliction,
qui lui fit prendre la résolution de s'éloigner de Leipsick pour se rendre à Berlin, où le nouveau
théâtre Frédéric-Guillaume (Friedrich-Wilhelmstaedtischen Theater) venait d'être ouvert.
Lortzing en fut nommé chef d'orchestre, et prit possession de ses fonctions le 18 mai 1850. Il
écrivit dans la même année pour ce théâtre une ouverture d'inauguration, de jolis morceaux dans
le vaudeville Eine berliner Grisette (Une Grisette berlinoise), et l'opérette
Die Opernprobe (La Répétition de l'Opéra), qui fut le chant du cygne. Sa santé déclinait depuis quelque temps et
sa gaieté naturelle avait fait place à la mélancolie : toutefois sa femme était loin de la pensée que
sa fin fût prochaine, lorsqu'il fut frappé d'apoplexie, le 21 janvier 1851. Se sentant indisposé,
il avait envoyé chercher un médecin, qui le trouva mort en arrivant. Artiste de talent, homme
aimable et bon, Lortzing inspirait de l'affection à toutes les personnes qui le
connaissaient ; sa perte fut généralement regrettée. De tous les compositeurs dramatiques de l'Allemagne, il fut
le plus populaire. Sa pensée ne s'éleva jamais jusqu'aux grandes conceptions ; le caractère de
l'originalité manque à ses ouvrages ; mais il avait le sentiment de l'effet scénique, de la mélodie ; son harmonie était facile et son instrumentation, sans être bruyante, avait de l'éclat.
On ferait une appréciation exacte du talent de Lortzing en le considérant comme l'Adolphe
Adam de l'Allemagne. M. Ph. J. Duringer, ami intime de cet artiste intéressant, a publié sur lui
un écrit intitulé Albert Lortzing, sein Leben und Wirken (Albert Lortzing, sa vie et ses productions) ; Leipsick, Otto Wigand, 1851, petit
in-4°de 126 pages, avec le portrait du compositeur. On trouve dans ce petit volume une partie
de la correspondance de Lortzing. Une autre biographie de cet artiste est insérée dans le
recueil de W. Neumann, intitulé Die Komponisten der neuern Zeit (Les Compositeurs des derniers
temps), sixième livraison. On a aussi : Notice nécrologique sur Gustave-Albert Lortzing,
compositeur de musique, par Charles Mayer ; Paris, 1852, in-8°, extraite du
Nécrologe universel du dix-neuvième siècle.