Vive la Restauration !
Cette brochure de 46 pages intitulée
Travaux de la première section du suprême conseil pour l'Amérique.
Fête de l'ordre. Inauguration du Buste de Sa Majesté Louis XVIII, et de celui de son Auguste Frère Monsieur.
a été imprimée à Paris en 1816 chez Caillot et se trouve maintenant disponible à la BNF.
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Le contexte historique Après la Révolution, la maçonnerie s'était - à tort comme depuis l'ont mis en évidence les historiens, démontant les délirantes accusations de Barruel - trouvée soupçonnée, en France comme dans d'autres pays, d'avoir comploté son avènement, et cette méfiance a perduré longtemps. Elle s'était ensuite exagérément mouillée avec l'Empire.
A l'occasion d'une Restauration par certains aspects très revancharde (ces émigrés qui selon Talleyrand n’auraient rien oublié ni rien appris), la maçonnerie avait donc quelques raisons de craindre un retour de manivelle et elle vit fondre ses effectifs. Dans le Tome II de sa monumentale tétralogie l'Europe sous l'acacia (Dervy, 2012), Yves Hivert-Messeca, mentionne d'ailleurs (p. 229) de fortes manifestations d'antimaçonnisme pendant la Terreur Blanche en 1815-6 : saccage de bâtiments maçonniques, difficultés avec les autorités, parution de la brochure Le nouveau judaïsme ou la Franc-Maçonnerie dévoilée. La fin de l'aventure napoléonienne et le retour de la paix avaient pourtant été accueillis avec soulagement par l'ensemble de la population, et Pierre Chevallier signale, dans le Tome 2 de son Histoire de la Franc-maçonnerie française (Fayard, 1974), que dès le 16 avril 1814 les maçons de Marseille (ville qui attendait beaucoup de la reprise du commerce maritime) avaient promené en procession solennelle le buste de Louis XVIII. L'opinion maçonnique s'est donc trouvée, dans l'ensemble (les maçons les plus bonapartistes ou jacobins se sont d'ailleurs exilés), favorable à la Restauration. |
Il était donc logique que, tant par application du principe de soutien inconditionnel au pouvoir en place que par opportunisme et/ou par conviction, la maçonnerie proclame son indéfectible attachement à la personne de Louis XVIII, avec autant de vigueur et d'enthousiasme qu'elle l'avait fait naguère pour Napoléon. On s'empressa d'ailleurs d'effacer toute trace de napoléonolâtrie exagérée (A Saumur par exemple, Saint-Louis de la Gloire, qui s'était en 1807 renommée Saint-Napoléon, reprend dès 1814 son ancien titre distinctif).
Le Grand Orient - qui n'en est pas à un retournement de veste près - allait pourtant écrire en 1852 au Prince-Président :
Ce que Rebold, qui rapporte le fait, a l'honnêteté de commenter de la façon suivante :
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Plus soucieux que certains de ses proches et conseillers d'apaiser les blessures laissées par la Révolution en maintenant l'équilibre entre ultras et libéraux (il avait notamment accordé la Charte et amnistié les révolutionnaires, à l'exception des régicides), le roi manifesta d'ailleurs une certaine bienveillance pour l'Ordre (auquel il avait la réputation d'avoir jadis appartenu), bienveillance à laquelle contribua certainement sa confiance envers son ministre et ami Decazes.
A la Restauration, ce sera, dans le contexte de féroce rivalité entre Rites et Obédiences caractérisant (à l'époque ... mais hélas encore de nos jours) la maçonnerie française, à qui surenchérira dans les proclamations de fidélité royaliste et loyaliste (certaines Loges se joindront d'ailleurs au mouvement, comme on le voit ici).
Le 1.4.1816, le Grand Orient proclamera que dans ses Loges on trouve la décence et la régularité, la sagesse et l'amour du Souverain, qui nous ont distingués jusqu'à ce moment et il rappellera que l'Ordre ne doit s'occuper des affaires publiques que pour adresser au Grand Architecte ... les voeux les plus ardents ... pour le bonheur public, la conservation et la prospérité du Roi et de son auguste famille.
On n'était pas en reste du côté des Ecossais (il s'agit ici de la faction de Grasse-Tilly, dite Suprême Conseil d'Amérique), puisque dès le 27 décembre 1815 (soit 20 jours après l'exécution du maréchal Ney) la Fête qui fait l'objet de cette page se voulut une manifestation particulièrement prestigieuse et fastueuse, en présence de plus de 300 maçons.
Une autre manifestation de fidélité écossaise allait être donnée au Roi en 1818 à l'occasion de l'élection comme très-puissant souverain grand commandeur de Decazes, qui était son homme de confiance et qui était arrivé à regrouper les deux factions du Suprême Conseil de France, rival de celui d'Amérique qui n'allait le rejoindre qu'en 1821.
Bésuchet (T.2, p. 83) écrit à ce sujet :
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Pas moins de 7 entrées solennelles se succèdèrent avant que ne soit introduit sous la voûte d'acier, et avec encore plus de solennité, le (long) cortège accompagnant les bustes du Roi et de Monsieur, accueillis aux cris redoublés de Vive le Roi ! vive Monsieur ! vive le Roi ! vivent les Bourbons !
Les deux bustes étaient ornés des quatrains suivants, oeuvres du Grand Orateur le Frère Tissot :
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Vient alors le discours du Grand Orateur, précédé, entrecoupé et suivi de 3 cantiques qui le paraphrasaient.
Tissot commence par un hommage appuyé au meilleur des Rois et à son désir de réconciliation, traduit pas la loi d'amnistie, preuve d'une clémence censée rappeler Henri IV.
Au passage, il ne manque pas de donner un large coup d'encensoir au Grand Maître Grasse-Tilly (récemment rentré en France après Waterloo) qui préside la cérémonie, en rappelant son dévouement - et celui de ses ancêtres - aux Bourbons et à Louis XVIII, qui, il n'en doute pas, saura récompenser un tel serviteur.
Vient alors la pièce de résistance du discours, qui constitue un authentique chef-d'oeuvre de mythomanie maçonnique. A la manière d'Anderson faisant d'Adam le premier maçon ou de Ramsay remontant aux croisades, Tissot entreprend de montrer que les maçons - ou plus exactement les seuls maçons écossais - ont de tout temps constitué une sorte de garde rapprochée pour les rois de France.
Je jure de mourir pour Dieu, le Roi et la Patrie.
Cette devise était selon l'orateur le serment solennel des anciens Maçons.
Il explique donc, avec force détails - et sans craindre d'affirmer qu'il parle non en s'appuyant sur des fables et des suppositions, mais en cherchant dans l'histoire des faits et des monumens incontestables -, comment, à travers toutes les croisades et en passant par Louis VII et Saint Louis, les rois de France ont toujours pu compter sur le fidèle dévouement des Maçons Ecossais qui les entouraient.
Honneur donc selon lui aux Maçons Ecossais qui furent les appuis de l'Etat et de la Religion, le soutien de l'humanité et de l'innocence, les vengeurs du crime, les colonnes des Empires, les fléaux des méchants, les barrières de l'impiété !
On passa ensuite au Banquet, au cours duquel furent tirées de nombreuses Santés - celle du Roi et de sa famille étant portée avec tout l'enthousiasme de l'amour, du respect et de la reconnaissance - et chantés de nombreux cantiques.
Voici la liste des cantiques reproduits au document. Les liens dans la première colonne renvoient au document, ceux dans la dernière à une page du présent site.
page | Auteur du texte | Air | Incipit |
pendant la cérémonie (respectivement avant, pendant et après le discours) |
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14 |
Tissot |
[partition originale du Frère Kretschmer] |
De Louis, de ce Prince auguste, Êcossais, contemplons le Buste. |
18 |
[non mentionné ; sans doute Tissot] |
O France ! ô ma Patrie ! |
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27 |
Tissot |
Un soldat par un coup funeste |
Dans la franche Maçonnerie |
pendant le Banquet |
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33 |
Tissot |
Par sa clémence Louis-le-Désiré |
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34 | Juderets (1) |
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Dans ce banquet qui rassemble des Frères |
35 |
Tissot |
Amis , que la franche gaîté |
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37 |
de Nazon |
Un Soldat par un coup funeste |
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38 |
Tissot |
Enfans de la Maçonnerie, Au Seigneur nous sacrifions |
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39 |
Dupont de Beauregard (2) |
Pégase est un cheval qui porte |
Mes Frères, par votre indulgence |
41 |
Tissot |
De la contre-danse des petits pâtés |
Ah ! qu'il est doux d'être Maçon |
43 |
Relevons, etc. |
Au lieu de cette colonne |
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45 |
Tissot |
à jeûn je suis trop Philosophe |
Combien j'admire l'harmonie Qui règne dans tous nos banquets |
(1) Vénérable de la Loge de la Rose du Parfait Silence.
(2) Vénérable de la Loge versaillaise des Chevaliers de l'Étoile. La délégation de cette Loge, présidée par son Vénérable revêtu de l'uniforme des Gardes-du-Corps du Roi avait été reçue avec solennité.
On voit à cette liste que le Grand Orateur le Frère Tissot, auteur de plus de la moitié des cantiques, auteur du discours et également des mots d'accueil aux visiteurs, était vraiment la plaque tournante de la manifestation. Mais de quel Tissot s'agit-il ? Bésuchet (T.2, pp. 270-2) mentionne deux Tissot ayant vécu à cette époque ; s'agirait-il de l'un de ces deux ?
Mais nous savons, par une autre édition d'une des chansons qu'il a proposées ce jour-là, que notre Tissot est en fait L. C. Tissot, membre de la Loge écossaise de Jérusalem, dont nous apprenons, par l'extrait ci-dessous du Journal de Paris, qu'il ne doit pas être confondu avec Pierre-François Tissot : |